Roberto Farias touche au cœur et à l'estomac

Vu à Lyon il y a un an grâce au festival Sens interdits, Acceso revient. Et c'est une immense chance de (re)découvrir l'un des spectacles absolument majeurs de cette saison, signé du cinéaste Pablo Larrain et du comédien sidérant qu'est Roberto Farias : il nous a accordé une interview aussi à vif que la pièce.


Vous évoquez dans la pièce les conditions de "rétention" des enfants sous Pinochet. Cette histoire-là est encore si actuelle au Chili ?
Roberto Farias
 : Il existe encore des maisons des mineurs, des internats, le SENAME (NdlR : Service national gouvernemental de Jeunesse)... et cela continuera tant que les inégalités existeront. Dans mon pays, il y a toujours des enfants abandonnés, isolés sans aucune possibilité de s'en sortir en dehors des drogues, de la rue, de la délinquance. Sans doute une conséquence de la dictature ; mais Acceso est plus profond que cela.

Pourquoi avoir écrit l'histoire de ce personnage, vagabond, abandonné par son pays post-Pinochet ?
Il n'y a pas de connexion directe avec la dictature. La pièce parle de ce qui se passe avec les enfants de la rue maintenant, comme de ce qui a été mis en lumière avec le retentissant cas Spiniak (NdlR, du nom de cet homme d'affaires arrêté en 2003) : une affaire de prostitution infantile, d'orgies dans laquelle étaient impliqués la classe politique, des curés, des gens de télévision...
Tout le reste du spectacle émane d'un hasard : lors d'un travail avec Pablo Larrain, je faisais une imitation d'un enfant abandonné, ça l'a inspiré et il m'a proposé de faire un monologue de théâtre. Pendant les répétitions nous avons fait des improvisations avec des histoires que j'avais vécues, que je mélangeais avec la fiction. C'est pour cela qu'Acceso est très personnel. Le personnage de Sandokan a existé, je l'ai vu et il vivait dans mon quartier. Il n'y a aucune connexion avec la dictature. 

Vous avez un espace de jeu minuscule. Quelles étaient vos intentions de mise en scène avec Pablo Larrain ?
L'espace a principalement pour objectif de simuler un "micro", un espèce de petit bus de transport public dans lequel se trouve Sandokan et où il vend des bibelots, où il se connecte avec son passé et il le rend au présent. Je devais être bien proche du public pour le réprimander, l'attraper sans qu'il puisse s'échapper. C'est un espace simple et minimaliste dans lequel tout repose quasi exclusivement sur le jeu. Les lumières ont aussi été travaillées dans cet objectif : elles sont froides et coupantes comme celles qu'on retrouve dans les "micros". La lumière définit les limites de l'espace.

Vous provoquez ce sentiment très rare au théâtre : la peur. Comme si le comédien et le personnage fusionnaient. Parmi tous les rôles que vous avez joué, est-ce celui que vous avez le plus intériorisé ?
C'est le spectacle le plus personnel que j'ai jamais fait au théâtre. Je cherche à ce que la pièce touche et gêne à la fois, fasse peur ou soit tendre. C'est une énergie qui va et revient, grandit et voyage ; je prends la main du public en quelque sorte. Tout est intuitif. 
Je connais l'univers de Sandokan, son comportement, sa façon de parler et d'agir car j'appartiens au même monde que lui. Il n'y a pas de mensonge. 

Vous partez en tournée en Europe avec ce spectacle, dans des théâtres institutionnalisés. Avez-vous aussi l'occasion de jouer devant un public qui ressemble à Sandokan ?
En Europe non, mais j'ai joué dans mon quartier au Chili, à Conchalí (NdlR, dans la province de Santiago) avec 200 spectateurs dans le cadre d'un festival de la ville. Les conditions étaient très précaires mais cela a été l'une des meilleures représentations que j'ai vécu. Néanmoins, cette pièce a un fort impact partout où nous allons. Je sens que ce spectacle n'est pas limité à des cultures, ethnies ou des réalités spécifiques ; il a un caractère de performance qui fait qu'il n'émeut pas seulement par son texte ou sa sémantique mais qu'il se comprend aussi par le cœur et l'estomac.

Acceso
Au théâtre des Célestins du 8 au 19 novembre

(Traduction Javier Romero et Irène Joatton-Rodriguez)


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