Extrapolation du futur

Avec la première édition de la biennale Nos Futurs, le TNG invite petits et grands spectateurs à regarder le monde de demain grâce à six spectacles simples, drôles, plus audacieux dans leur propos que dans leur réalisation.


« Comment ça va sur la terre ?
- Ça va ça va, ça va bien.
- Les petits chiens sont-ils prospères ?
- Mon Dieu oui merci bien.
- Et les nuages ?
- Ça flotte.
- Et les volcans ?
- Ça mijote.
- Et les fleuves ?
- Ça s'écoule.
- Et le temps ?
- Ça se déroule.
- Et votre âme ?
- Elle est malade / le printemps était trop vert / elle a mangé trop de salade. »

Cette Conversation de Jean Tardieu écrite en 1951, que les écoliers ont récité plus d'une fois, est d'un doucereux optimisme cruellement daté. La tranquillité affichée n'a, 75 ans plus tard, plus vraiment lieu d'être et pourtant cette question introductive est de plus en plus l'entame des spectacles actuels. En choisissant d'interroger demain, le TNG prend des nouvelles de la Terre autant que du théâtre.

Pas d'appel à candidature pour construire cette programmation concentrée entre mi-novembre et mi-décembre. Plutôt, à l'inverse, constater que l'une des préoccupations majeures des artistes actuels — notamment quand ils s'adressent au jeune public — est l'avenir de l'Homme, des êtres vivants et du lieu où il va falloir vivre et migrer (les exoplanètes) à l'horizon de plusieurs siècles. Des adolescents finlandais, roumains et brésiliens seront dans les murs du théâtre pour explorer des scenaris et des pistes de réflexions sur le futur ; ce label se déplacera aussi au Lieu Unique de Nantes, au TJP de Strasbourg et au théâtre Am Stram Gram genevois.

Il n'est pas question d'un saupoudrage pour être dans l'air du temps. Joris Mathieu, directeur du TNG et instigateur de ce projet, le relie même à son époque : « En partant du constat que notre société est à comprendre comme l'héritage d'une génération post-punk qui a construit l'institution, nous nous sommes demandés comment faire bouger l'ordre public et redonner des perspectives », Nos Futurs étant un décalque du slogan 70's no future.

Ich möchte nicht ein Eisbär sein

Comment ça va sur Terre ? Tous les spectacles répondent par la négative avec des solutions plus ou moins réalistes et, dans un premier temps, un exposé de la situation comme le fait en cinq épisodes le géographe Frédéric Ferrer avec les Cartographies 4 (Pôle Nord) et 5 (Wow!). Nous sommes dans l'ère de l'anthropocène (cette révolution géologique causée par l'Homme) ; autant l'analyser avec drôlerie, comme lorsqu'il explique la convergence des méridiens : « ce qui fait qu'il est toutes les heures possibles en même temps au Pôle Nord. Ou pas d'heure du tout. »

Ces spectacles contiennent aussi une masse d'informations, à commencer par celle-ci : le Pôle Sud est un continent, contrairement au Nord qui est entièrement une banquise flottant sur l'eau et bougeant de fait tout le temps. Les concepts scientifiques, les récits d'expéditions donnent une dimension épique à ces créations qui convoquent même la philosophie et la sociologie via Edgar Morin et la possible métamorphose du globe pour éviter sa probable désintégration.

Moins terre à terre si l'on peut dire, Halory Goerger (présent aussi aux Subs en décembre avec son spectacle précédent Germinal) convie avec Corps diplomatique à un voyage dans l'espace, au sein du module Jean Vilar afin d'apporter le théâtre à d'hypothétiques autres êtres vivants. Ce que l'on voit, c'est plutôt une interpellation sur la valeur de la culture et l'incapacité de l'humain à sortir des « carcans normatifs ». Il y a peu d'espoirs.

Sur un mode plus éberlué et moins homogène, le chorégraphe Michel Schweizer amène lui des vrais-faux architectes pour imaginer demain, comme le dit la pub. Au programme de Primitifs, s'affiche (au sens littéral) « un projet atypique d'exception sur la commune de Bure dans la Meuse », soit « une cité radioactive pour tous » avec une « identité auditive » (Love is in the Air de John Paul Young, support de la pub Air France) où l'on danse sur les décombres de l'humanité engendrées par ses habitants inconscients et autodestructeurs. Le cynisme et l'absurde animent gaiement ce spectacle hautement recommandable.

Curieusement, dans chacune de ces formes artistiques, centrées sur la parole, la scénographie est cheap, beaucoup de micro en main, présentations diapos et Powerpoint ; soit l'exact opposé de la création de Joris Mathieu, Hikikomori qui a officiellement ouvert Nos futurs en octobre. De quoi avoir encore — et c'est heureux — une marge artistique pour « Imaginer demain » comme dit le slogan d'un point de vue tant formel que discursif.


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