La réforme de Calvin Johnson

Figure incontournable et paternelle du grand mythe rock indé américain, Calvin Johnson swingue sur sa propre légende sous le nom Selector Dub Narcotic. Cela ressemble à un déguisement musical pour fête à danser, c'est en fait une réforme autant qu'un dévoilement.


Prononcez le nom de Calvin Johnson en présence d'un AARIA (pour Authentique Amateur de Rock Indé Américain) et vous verrez ce dernier, le cheveu gras et la chemise à carreaux en fin de vie, s'incliner pieusement, malgré ses genoux qui grincent, comme le sol lui-même se courbe à l'arrivée de sa Sainteté le Pape sur les tarmacs du bout du monde.

Ancien leader, entre autres, de Beat Happening, formation créatrice de vocations musicales, Calvin a non seulement lancé le mythique label K Records mais aussi, directement ou indirectement – son aura soit sanctifiée – les carrières de Beck ou Nirvana (Cobain portait ainsi sur le bras un tatouage reproduisant le logo de K Records).

Prenez le même AARIA sur le retour et faites lui maintenant écouter le dernier Calvin Johnson affublé du patronyme de Selector Dub Narcotic (son nom de DJ avec lequel il a également officié au sein de Dub Narcotic Sound System, un collectif d'originaux à grosses basses aquatiques) : il ne se relèvera pas de sa courbette, laissé KO pour le compte.

Sur la tranche

C'est que comparé à ce que l'on a connu jadis, avec ce premier album sous ce nom (habilement intitulé « Cette fête ne fait que commencer », on jurerait qu'il parle de la fin du monde), et avec l'aide du producteur Smoke M2D6, Calvin marche, danse même, sur la tranche. Sur cette tranche, on trouve le hip-hop originel et la déblatération cool sous "influences" über-cool d'un De La Soul, quelque chose comme un David Byrne en pleine séance de faux lâcher prise psycho-tueur ou le Beck des jeunes années bien sûr, et ce que quelques puristes nommeraient une déviance électronique, de la friture sur la ligne de conduite.

On pourrait également comparer ces délibérations entre plusieurs ego musicaux avec les caméléonages de Stephin Merritt aka The Magnetic Fields, autre explorateur des sous-couches de l'indépendance musicale. Reste que la voix demeure celle que l'on a connu il y a trente ans chez Beat Happening, reste aussi la philosophie principale, injonction contradictoire pour toute une génération de slackers plus encline à se coucher qu'à se lever : le Do it yourself, ce paradoxe pour paresseux hyperactif. Paresseux de l'écoute y compris. Ici ne pas s'abstenir.

Calvin Johnson aka Selector Dub Narcotic
À la Grooverie le vendredi 11 novembre


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