Misère en lumières

Avec des musiciens intégrés au jeu, un décor non-naturaliste, des marionnettes à taille humaine, Jean Lacornerie signe un Opéra de quat'sous très homogène, plein d'allégresse et de liberté.


Postulat de départ : remonter aux origines de cette œuvre écrite en six mois à peine par Kurt Weill et Bertolt Brecht en 1928. Ainsi, une traduction a été commandée à René Fix pour s'éloigner de tous les remaniements que le dramaturge berlinois a rajouté au fil des décennies et les chansons sont interprétées en allemand. Les mots sont crus et raccords avec l'énergie noire que développent les chefs de pègre : le criminel Macheath et son rival Peachum.

Polly, la fille de ce dernier tombée dans les bras du premier s'en trouve même surnommée la « pute à gangster » et quand il s'agit de qualifier cette période trouble, elle est « pourrie. » Tout ce qui aurait pu entraver le rythme ou la compréhension a été gommé. Et loin d'appauvrir la pièce, cette propension à aller vite la sert.

À commencer par la rapidité de jeu de Vincent Heden qui virevolte sur les tables de l'écurie (qui ressemble plus, et fort à propos, à un atelier d'usine) et entre les piles de cartons. C'est lui qui donne le la. Et ses acolytes, sans du tout être éclipsés, tiennent parfaitement ce marathon de deux heures.

Auf deutsch

Fidèle des comédies musicales, Jean Lacornerie revient à leur source et n'a jamais semblé aussi à l'aise avec une œuvre qu'avec celle-ci (sauf peut-être avec Tender land et son récent Roméo et Juliette). Convoquer Émilie Valantin, spécialiste ès marionnettes, et l'amener à en concevoir pour les scènes de groupes (les brigands et les prostituées) participe aussi à ce tempo enlevé.

Jamais statiques car manipulées par des comédiens, elles apportent une identité quasi graphique à ce spectacle mis pleinement en lumière. La misère et les bas-fonds londoniens ne sont pas nimbés de pénombre ; le propos n'y perd rien et le metteur en scène reste ainsi fidèle à une idée de spectacle qu'il affectionne, proche du show de Broadway.

La tonalité jazz du band emmené par un compagnon de Didier Lockwood, Jean-Robert Lay, coule de source dans cette mise en scène résolument tournée du côté de la jovialité, fut-elle la plus cynique, amorale et impunie qui soit.

L'Opéra de quat'sous
Au théâtre de la Croix-Rousse jusqu'au samedi 12 novembre


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