Une Guerre personnelle

Sans esbroufe mais avec le goût de la clarté et de la concision, Jérôme Cochet, jeune metteur en scène issu de l'ENSATT rend à Lars Norén son implacable noirceur ainsi que la bribe d'espoir enfouie sous les décombres de Guerre.


La scénographie de Louise Sari illustre l'efficacité accompagnant ce travail de mise en scène : ne point trop en faire (c'est une petite production, d'une équipe encore très jeune : la cie des Non-alignés) mais suffisamment montrer pour que l'action s'ancre dans le concret. Ainsi, une encadrure de porte doublée d'un recoin pour figurer un intérieur avec trois matelas disséminés au sol et quelques tabourets. Si le lieu n'est pas situé géographiquement, la temporalité est celle d'un homme revenant de la guerre, aveugle. Il souhaite retrouver sa famille et reprendre le cours de son existence. Comme avant.

Que le conflit date d'aujourd'hui, d'hier ou de l'Antiquité, cela est impossible à savoir. Sa jeune épouse, mère de leurs deux filles de 11 et 15 ans, est tombée amoureuse d'Ivan, frère du combattant que, par ellipse elle préfère qualifier de « disparu ». En 2003, Norén écrit ce texte qui pourrait faire écho au Anéantis de Sarah Kane, huit ans plus tôt. Le conflit est terminé contrairement à la trame que développe l'écrivaine britannique mais la violence est la même. À la guerre, on mange son chien quand ce n'est pas son prochain, les viols sont monnaie courante, l'inceste n'est pas exclu.

« T'étais déjà aveugle avant de devenir aveugle »

De ce matériau infiniment sombre, Jérôme Cochet a su rendre compte sans tomber dans un inutile mimétisme avec le réel. Tout est dit, tout est joué mais rien n'est appuyé. Passée la difficulté d'accepter que l'actrice jouant la mère ait le même âge que sa progéniture, tout se met en place et surtout le duo de sœurs qui, mieux encore que leur père, trop en force, savent alterner leurs émotions.

Peut-être héritent-elles aussi des partitions les plus nuancées ; c'est précisément leur supposée innocence qui est la plus sévèrement attaquée : « ça n'existe plus les enfants » écrit comme un leitmotiv l'auteur suédois. Que l'entame du spectacle et la toute dernière réplique manquent de vivacité n'empêchent pas cette jeune équipe de livrer un travail des plus honnêtes.

Guerre
Aux Clochards Célestes jusqu'au vendredi 18 novembre


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"Tanna" : île, elle, lui et les autres