D'une bataille à l'autre

Retrouvant sobriété et singularité au service d'un thème qui lui est cher (le pouvoir et l'art), Claudia Stavisky signe son meilleur spectacle depuis Lorenzaccio.


« Je ne suis pas en paix avec la vie. Ça n'existe pas. » Galactia, lucide et torturée, gravite autour d'un homme engagé par ailleurs, qui la malmène, et du pouvoir politique venant de lui confier une grande mission : peindre la bataille de Lépante que les Vénitiens viennent en 1571 de gagner, face aux Ottomans. Là où le doge ne voit qu'un triomphe, elle est hantée par le carnage et les milliers de victimes. Elle fera le Tableau d'une exécution.

Howard Barker, historien de formation, aime à puiser dans le réel un support à sa réflexion qu'il déploie depuis plus de quarante ans dans ce qu'il a lui-même nommé "le théâtre de la catastrophe", sorte de retour à l'essence humaine dans le grand maelström du monde. Christiane Cohendy porte durant plus de deux heures cette femme aux convictions affirmées mais qui ne s'exonère pas de ses fêlures et fragilités. Claudia Stavisky parvient à l'orienter vers cette dualité, comme elle l'avait fait avec Marie Bunel dans La Femme d'avant.

Ce n'est pas l'unique point commun entre ce travail et celui fait sur Schimmelpfennig en 2006 : le plateau est pertinemment occupé, jamais encombré. David Ayala, acteur total, parfois trop en roue libre, est ici justement cadré sans que son talent n'en souffre — au contraire — à l'inverse des rôles secondaires plus négligés voire exagérés (la fille survoltée, cheveux rouges en pétard et la critique d'art dont la robe Mondrian était dispensable pour figurer son aspect fashion victime).

« Mon art est celui de l'assassinat »

Exceptés ces détails et un léger manque de rythme qui s'affinera à n'en pas douter au fil des représentations, cette pièce replace au cœur du débat les liens inextricables entre les artistes ravis de pouvoir vivre des commandes publiques lucratives et des politiciens qui montrent leur supériorité en absorbant la création, comme il est démontré dans la très cynique et réussie scène finale.

Loin d'opter pour une reconstitution historique sans intérêt (l'épave de barque vénitienne est vite reléguée dans les coulisses), Claudia Stavisky prend le parti de mettre l'œuvre picturale en avant ; elle se fait même sous nos yeux, donnant à Galactia une consistance sine qua non dans une scénographie précisément pensée en tableaux particulièrement bien éclairés. Et quand le fameux tableau est dévoilé à mi-pièce, l'artifice du théâtre opère pleinement.

Tableau d'une exécution
Aux Célestins jusqu'au 7 décembre


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