Des chibres et des lettres

Mickaël Draï vient de publier Pornographie, un éloge aux affiches de films pornographiques des années 70 et 80 que son père distribuait dans les salles obscures. Pour contourner la censure, fi des photos et oui à l'imagination : typographies engageantes et graphismes éclatants faisaient monter la sève. Histoires.


Ce livre, c'est l'aboutissement d'une saga familiale débutée avec votre grand-père...
Mickaël Draï :
À mon avis, pour lui, ça n'aurait pas été un aboutissement (rires) ! Il y a toute cette histoire de famille racontée dans le livre : le travail de ma famille ne se limitait pas à la pornographie. C'est même ce qui m'énervait quand j'étais plus jeune. Aujourd'hui, les mœurs ont changé et le porno n'est plus honteux. Les gens commencent à en consommer dès douze ans... On est plus dans le même rapport à la sexualité et aux images pornographiques.

Ce livre a fonctionné par étapes. Déjà, il y avait ce fond d'affiches de films X redécouvert grâce à un ami, moi je passais devant sans les voir même si j'en avais une accrochée chez moi, plus par provocation... Petite anecdote : mes beaux-parents sont garagistes. La première fois que je les reçois à la maison, ma belle-mère passe sous l'affiche de La Grosse cramouille de la garagiste... Ce qui a permis de briser la glace (sourire)...

Mais ces affiches, je ne pensais pas qu'elles pouvaient avoir cet impact. Mon père était prêt à les donner à un brocanteur pour une centaine d'euros ; près de 7000 affiches. Comme je le dis dans le bouquin, on s'en servait pour peindre dans nos appartements, pour protéger les sols. C'était devenu des objets sans intérêt à côté de celles que mon père valorisait : le Zombie de Romero, le premier Hulk, la version turque de La Guerre des étoiles, les premiers Jackie Chan...

Quand j'étais gamin, j'entendais parler de René Chateau et de Bruce Lee, plus que de pornographie. Mais ce qui se vendait le moins dans les réseaux de distribution, c'était le porno. Et mon père était aussi sur ce créneau-là : sur les dernières années, c'est vraiment ce qui l'a fait vivre.

Un jour mon associé est tombé sur ces affiches et les a trouvées géniales, m'a dit qu'il fallait en faire quelque chose. Olivier Rey de Only Porn voulait chaque année les mettre en avant dans son festival, mais je lui disais non à chaque fois : je voulais que ce soit un peu unique. Ça a dû le saouler que je lui dise non à chaque fois (sourire)...

À force d'en parler autour de moi, le Transbordeur m'a mis devant le fait accompli : je voulais annuler au dernier moment, mais ils ne m'ont pas laissé le choix... Du coup, on a lancé l'expo. Et on a cartonné. C'était fou. On a fait une vente aux enchères autodafé : si une affiche ne trouvait pas preneur, on devait la brûler. Elles sont toutes parties. On entendait le tumulte de la salle, les whaaa à chaque affiche sortie... Une pote graphiste m'a dit que l'on devait faire un bouquin. Super idée. Je voulais faire un documentaire aussi. Quand mon père est décédé, en février dernier, ça m'a remis en question. Et dans le documentaire, c'était lui qui devait donner les réponses, raconter l'histoire. Du coup, on s'est lancé dans le livre.

Ce qui est assez cool dans l'aventure, c'est que j'ai pu inviter des gens que j'aime beaucoup à participer, comme Dalya Daoud et Stéphane Duchêne (NdlR : tous deux collaborateurs du Petit Bulletin) que j'adore. Et on me parlait beaucoup d'un blog nommé Poulet Rotique, féministe. C'est Clarence Edgard-Rosa qui l'écrit, elle m'a encouragé et a été une super rencontre. Christophe Bier est un spécialiste du X, il a accepté de suite. C'est le seul qui a dû voir tous ces films dont on parle : il a fait un dictionnaire du porno hallucinant !

Le Berverley à Paris est le dernier cinéma à projeter ces films en 35mm. C'est le stock de bobines de votre père qui est désormais là-bas ?
La plupart. Quand mon père était très malade, étant le dernier distributeur du genre, Maurice Laroche a racheté tout son stock pour être alimenté. Lui-même ne se voit pas finir dans le porno. C'est surtout sa clientèle qui décline...

Comme vous le dites dans le bouquin, c'est un public de petits vieux...
Ce ne sont pas des vieux pervers. Ce pourraient être nos grands-pères, nos pères. Mais pas nos frères ! Le lieu est hyper joli. Maurice a plein d'anecdotes très marrantes. Comme quand il raconte qu'il distribue des mouchoirs en papier à l'entrée de la salle car les spectateurs de sa salle sont très sensibles.

Avez-vous retrouvé les graphistes de l'époque ayant fait ces affiches ?
On les a cherchés. Mais non. Il ne restait que des noms d'imprimeurs sur les affiches. Et les imprimeries étaient fermées. Il y a une mention dans le livre : on a réservé des droits d'auteurs pour eux s'ils viennent à se manifester.

On ne sait pas du coup si une seule personne faisait toutes ces affiches, s'ils se connaissaient...
Maintenant, ce sont sans doute des petits vieux : ces films ont trente ou quarante ans. Et je pense qu'ils ne s'en vantaient pas auprès de leurs enfants. On est hyper embêtés. On ne sait pas. Je ne pense pas que c'était une seule personne, il y avait beaucoup de producteurs à l'époque, je pense qu'il y plusieurs artistes. Il y a plusieurs techniques aussi : parfois c'est de la sérigraphie, parfois non. C'est le flou total.

L'homosexualité est absente du livre ?
Dans les films porno de l'époque, il y avait parfois des scènes homosexuelles qui venaient s'intercaler. Mais je n'ai aucune affiche qui évoque l'homosexualité. Christophe Bier me raconte que les cinémas porno étaient aussi des lieux de rencontres, et que les hommes se masturbaient parfois mutuellement. Je n'ai pas de moyen de le vérifier... Je ne sais pas dans quelle proportion. C'est un peu aussi une problématique du livre : je n'ai pas vu les films.

Aucune des affiches ne laisse apparaître un nom d'actrice : c'est totalement l'inverse de ce qui se fait aujourd'hui.
Et pourtant, c'est paradoxal, mais il y en plusieurs avec Brigitte Lahaie par exemple. Mais elle n'était pas une star. La star du X n'existait pas : c'est le format vidéo qui a créé la star de la pornographie. On a 500 affiches différentes, on voit parfois un réalisateur comme John Love, la référence dans le milieu porno, mais jamais d'actrices.

Est-ce que vous vous intéressez au porno d'aujourd'hui ?
Pas du tout. J'en parlais avec Clarence Edgard-Rosa, elle me parlait de porno féministe, mais tout ce que j'ai trouvé sur Internet ce sont juste des femmes dominatrices et ça s'adresse à un public d'hommes. Elle doit me conseiller des films vraiment féministes. J'ai été critique cinéma, mais je n'ai jamais vu un film porno en entier. C'est chiant. Ou alors faut être vraiment endurant !

À lire : Pornographie, de Mickaël Draï (éd. Marque Belge)
Affiches et livre disponibles sur le site


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