Une artiste sur la grille

L'artiste autrichienne Esther Stocker s'empare des espaces de la BF15 avec un motif que l'on aurait pu croire austère, la grille : elle s'avère vivante et joyeuse.


C'est à travers une grille, réelle ou symbolique, qu'habituellement on voit, on désire quelque chose. Luis Buñuel l'a filmé dans certaines scènes de son Obscur objet du désir en 1977. La grille met à distance ce qui attire, elle interdit en même temps qu'elle provoque et intensifie l'attrait. Mais elle n'est aussi, parfois, que "traits", et ne s'ouvre alors sur rien d'autre qu'elle-même. Grille aveugle et nue d'interdits, grille se réduisant à ses deux dimensions et gommant la troisième, celle d'un espace du désir de franchir, de voir, de comprendre. Ces grilles-là sont celles de la modernité qui apparaissent au 20e siècle sur les cimaises des musées, celles du Cubisme, de Malevitch, de Piet Mondrian et de bien d'autres ensuite, qu'analyse dans un texte célèbre l'historienne de l'art Rosalind Krauss (Grilles, 1981). Grilles, centripètes ou centrifuges, qui ont l'impudeur de se dévoiler pour ce qu'elles sont dans leur extrême solitude : trames, surfaces, structures...

Le délire est dans la règle

Ce paradigme moderniste de la grille constitue sans doute l'un des points de départ des œuvres (peintures, installations, collaborations avec des architectes...) de l'artiste autrichienne Esther Stocker (née en 1974). Mais avec elle, le motif géométrique et froid prend vie, mouvement, rythme. Il rouvre des volumes, se donne à lui-même ses propres perspectives, creuse dans ses propres abymes répétitifs, dérive en "folies" : folies au sens psychique, comme au sens architectural.

À la BF15, au sol, aux murs, au plafond, de grandes grilles noires se mettent à "danser", à s'enchevêtrer les unes sur les autres, à battre une sorte de rythme, et à renverser en tous sens le regard du visiteur. « La règle et la confusion sont pour moi proches l'une de l'autre, déclare Esther Stocker dans le texte accompagnant l'exposition. Elles constituent même parfois une seule chose. » La partition a perdu ses notes, la grille a oublié ses images, mais elles se mettent à délirer dans l'espace de la BF15, elles font même délirer l'espace lui-même et ses repères géométriques : paradoxe subtil et joyeux !

Esther Stocker, Approximation linéaire
À la BF15 jusqu'au 14 janvier


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