Des ailes pour régir

Créateur infatigable de grands spectacles jouissifs et épatants, Laurent Pelly trouve avec cet Oiseau vert de Gozzi une fable à sa mesure sans toutefois éviter quelques lourdeurs.


Depuis 1994 qu'on le voit s'amuser du théâtre et le rendre divertissant sans le bêtifier, Laurent Pelly est un phare dans cet art des planches qui parfois se prend au sérieux (c'est heureux) immodestement (ça l'est moins). L'opéra lui permet d'avoir la folie des grandeurs (Pour son Orphée aux enfers ou son Hansel et Gretel, il a notre gratitude éternelle) corrélée à son goût insatiable du divertissement. Pelly aime Offenbach, Shakespeare, Copi et Levin. Et tout fonctionne. Voilà que dans ce Théâtre national de Toulouse qu'il dirige pour un an encore, il a monté, en février 2015, cet Oiseau vert de Gozzi. Moins passé à la postérité — sinon pour L'Amour des trois oranges — que son rival Goldoni (dont Pelly avait adapté Le Menteur sur un plateau transformé en lagune), Gozzi est le réac' qui doute des Lumières, de la philosophie et de la pensée.

Il faut dire que dans le royaume qu'il invente, tout part à vau-l'eau : la reine-mère a fait disparaître sa bru dans l'évier et exigé la disparition de ses bébés jumeaux... récupérés par un couple sans le sou. Âgés de 20 ans, les voilà bien instruits, condamnant avec mépris l'ignorance de ceux qui les ont élevé jusqu'à ce qu'ils deviennent riches par magie et en oublient leurs préceptes. Le roi ne tarde pas à s'amouracher de celle qu'il ignore être sa fille. L'oiseau vert redistribuera les cartes dans le bon ordre.

« La philosophie, il faut la mélanger à la fantaisie »

Décorateur et costumier, en plus de son rôle de metteur en scène, Pelly imagine un terrain de jeu ondulé et des cadres de toutes tailles tombant des cintres pour circonscrire l'intrigue de façon trop systématique, mais aussi particulièrement drôle parfois (la drague aux balcons, supposés être en face-à-face mais latéraux sur le plateau). Cartoonesque, les comédiens en font trop comme demandé dans le meilleur des cas (fantastique Emmanuel Daumas en roi — acteur fidèle de Pelly, sa prolongation naturelle sur scène — ou Georges Bigot) ou le moins bon (des jumeaux timorés, une Marilu Marini sans limites) ; Pelly crée des gimmicks dans les déplacements bien sentis, tout comme sa complice Agathe Mélinand qui a retraduit le texte et pour l'occasion ajoute des répétitions verbales très comiques, quand elles ne sont pas parfois vulgaires.

Gros bémol : ces apparitions de statues cartonnées qui parlent. S'il ne cède pas au subterfuge de la vidéo et assure pleinement l'artisanat (manipulation manuelle et quasi à vue des cintres) de son travail, Pelly enserre là son spectacle dans une époque plus que révolue. Il a le défaut de ses qualités : cet Oiseau vert semble presque trop facile pour lui et il surfe sur quelques notions de savoir-faire plus qu'il ne fourmille d'idées (ah ces quelques féériques secondes de l'eau qui danse !) comme par le passé.

L'Oiseau Vert
Au TNP jusqu'au samedi 24 décembre


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Boulevard des Brotteaux : il fallait regarder derrière l'écran