Serge Dorny : « Il faut avoir la nostalgie de l'avenir »

Rencontre avec le directeur de l'Opéra de Lyon, Serge Dorny, pour évoquer cette saison de transition voyant son chef permanent, Kazushi Ono, s'envoler vers d'autres cieux, remplacé à la rentrée par le jeune espoir italien qu'est Daniele Rustioni.


C'est la dernière saison de votre chef permanent, qui s'en va en juin.
Serge Dorny : Kazushi Ono est un chef extrêmement moderne. Normalement, un chef s'intéresse à la musique, à la partition. Mais le monde a changé : tout ce qui est action citoyenne, vis à vis des territoires en difficulté, des publics scolaires, des réseaux associatifs, l'Opéra de Lyon, étant un acteur citoyen, s'y investit énormément. Il n'est pas automatique qu'un directeur musical le fasse. Kazushi Ono y a participé de façon active, il était très enthousiaste, au point qu'il a importé cette démarche dans les projets qu'il porte au Japon.

C'est vraiment quelqu'un avec qui j'ai pu construire ce projet et l'enraciner dans la maison. Il est moderne, car il a compris que ça se passe sur scène et dans la fosse, mais aussi hors les murs ; dans la cité, dans les banlieues éloignées. Cet accès au plus large public possible doit se gagner au quotidien. J'ai eu un partenaire, là-dessus.

Un chef moderne, c'est aussi avoir une attention particulière envers les partitions d'aujourd'hui. Pas seulement célèbrer le passé en jouant le grand répertoire, mais un chef qui a la curiosité de découvrir des partitions tombées dans l'oubli. Qui a l'énergie pour élargir le noyau dur du répertoire, the top of the pops, qui a envie de montrer qu'une musique d'aujourd'hui mérite d'être partagée avec tout le monde et d'être portée avec toute sa conviction.

C'est quelqu'un au niveau de la découverte comme de la création qui a apporté énormément. Là aussi, ce fut un vrai partenaire. Il a fait redécouvrir Le Nez de Chostakovitch, ou récemment L'Ange de Feu, Le Joueur de Prokofiev... C'est un chef d'aujourd'hui. C'est sur cet élan-là qu'il faut continuer à construire.

La construction, elle va se poursuivre avec Daniele Rustioni.
Ça correspond assez bien, Rustioni, aux chefs que l'Opéra de Lyon a connu. Son premier chef en 1983 est John Eliot Gardiner, à cette époque il n'est pas connu, il commence ; et ses débuts pour diriger un orchestre national, c'est à Lyon. Après, on a Kent Nagano, en 1989. Qui est lui aussi au début d'une carrière. Totalement différent de Gardiner, qui s'intéressait à un répertoire de musique ancienne, au répertoire français et à la découverte comme L'Étoile d'Emmanuel Chabrier, qu'il a fait redécouvrir. Kent Nagano lui, était très intéressé par la musique contemporaine.
Après, il y eu Louis Langrée qui n'est pas resté très longtemps. Quand on regarde Rustioni, il est aussi au début d'une carrière...

Il est très jeune : 33 ans.
Voilà quelqu'un avec un talent extraordinaire, totalement différent des chefs précédents. Il vient avec une culture italienne : il a grandi avec la maîtrise de la Scala de Milan, il est parti en Angleterre pour être assistant de Antonio Pappano ; donc c'est vrai que le répertoire italien, que ce soit du bel canto ou Rossini, il l'a vécu de l'intérieur. C'est un répertoire que nous avons moins abordé. Cette complémentarité est importante. Car il ne faut jamais essayer de copier/coller ce que l'on a déjà eu. Il faut avoir la nostalgie de l'avenir. Comment voler vers des cieux que nous ne connaissons pas ? J'estime aussi qu'une institution doit lui faire découvrir d'autres répertoires, il doit bénéficier de l'excellence de l'outil. Il dirige chaque année une production depuis trois ans, comme La Juive avec un énorme succès la saison dernière, ou Une Nuit à Venise récemment. Il va ouvrir sa première saison avec une œuvre qu'il va découvrir : le War Requiem, de Benjamin Britten.

Vous avez la réputation de faire souvent confiance à de jeunes metteurs en scène étrangers, de leur offrir leur première date française, ici, à Lyon.
Je suis un curieux. J'essaye de m'informer beaucoup. Si on veut montrer que c'est un art avec un avenir, il faut effectivement constamment démontrer le dynamisme que peuvent apporter certaines personnes à cet art. Il y a des metteurs en scène que l'on voit souvent, une liste que l'on se partage. Mais il est important de se frotter à l'inconnu, à de nouvelles expressions. De ne pas cloisonner l'opéra. De ne pas accepter le cul de sac. Il est important que l'on soit nourri de toutes les expressions artistiques. Comme on l'a fait avec Wajdi Mouawad, qui un auteur, un metteur en scène de théâtre. C'est important de continuer à se renouveler. Ça montre que l'opéra est un art vivant.


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