Andromaque à la racine

Gratuite, indéfinie dans le temps, Andromaque est au Point du Jour sans fard et renverse les codes ; à commencer par la façon d'effectuer une sortie théâtrale.


C'est une antienne bien connue que Gwenaël Morin développe depuis des années (et depuis 2013 au Point du Jour) : faire un théâtre permanent et considérer l'œuvre théâtrale comme un bien public qu'il faudrait offrir aux spectateurs, encore et encore, puisque personne n'aura jamais assez d'une vie pour explorer la richesse des écrits de nos anciens. Cette humilité assortie d'un sens de l'économie radicale tranche avec ses congénères : pas de droit d'auteurs pour ces œuvres tombées dans le domaine public et pas de billetterie payante par retour d'ascenseur.

Sophocle, Molière, Shakespeare... le metteur en scène a su explorer ses classiques dans son théâtre que, volontairement, il ne transforme pas en bar (à peine une salle d'attente blanche avant d'accéder à la salle) et souvent dans des lieux insolites : reconnaissons-lui le mérite d'avoir emmené le théâtre où il n'est pas, comme des quartiers excentrés du 5e arrondissement cet été dans le cadre des Nuits de Fourvière, avant de terminer au lever du soleil dans l'Odéon, gratuitement, toujours.

Sans date de fin pré-annoncée, cet Andromaque s'éloigne de l'événementiel qui rythme les programmations. Tout le système normé des théâtres est ici démonté.

« Je l'ai trop aimé pour ne point le haïr »

Pour autant, que nous est-il transmis ? Avec cette pièce, comme avec les autres précédemment, le texte est à disposition, lisible durant le spectacle au cours duquel, la plupart du temps, la salle reste éclairée. Et ce n'est pas une coquetterie tant il n'est pas aisé de se laisser happer. Pas de décor, pas de costume, des femmes jouant des hommes et inversement (mais pas systématiquement), des rôles cette fois-ci attribués en amont mais possiblement tirés au sort chaque soir quand la troupe entière connaîtra l'intégralité du texte.

Si ce postulat de départ est proche de la performance et impressionne, il est handicapant et trop contraignant pour saisir d'emblée les élément-clés nécessaires à la compréhension du texte. Le spectateur démuni doit opérer seul son cheminement dans l'œuvre de Racine avant de revenir sur des rails.

En dépit d'une réelle mise en scène et d'acteurs pour certains excellents (Magali Bonat et Laurent Ziserman en tête), ce qui nous parvient a plus à voir avec une mélodie qu'avec un récit théâtral. Bien sûr, il est possible d'y revenir pour se laisser imprégner par cette langue chaque soir - « chacun peut à son choix disposer de son âme » comme le dit Oreste à Hermione - mais les appels à la dispersion sont si nombreux...

Andromaque
Au théâtre du Point du Jour


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