Jeanne ressuscitée

Jamais là où on l'attend, Romeo Castellucci signe un oratorio d'une immense sobriété porté par une Audrey Bonnet incandescente au bénéficie d'un texte si... "claudelien".


Quinze minutes. Il a fallu attendre quinze minutes pour que les premières notes de la musique crépusculaire d'Arthur Honegger, composée en 1935 et interprétée par l'orchestre dirigé par Kazushi Ono, retentissent. Le rideau s'était levé sur une salle de classe ; les élèves, des jeunes filles en uniforme, s'en sont échappées dès la cloche sonnée. Un homme prend alors place doucement, opérant un rangement méthodique qui va peu à peu se muer en colère, puis en rage lorsqu'il balance tout le mobilier dans le couloir.

Nulle idée alors que ce puisse être Audrey Bonnet. Pourtant, cette douleur sourde puis violente, la comédienne l'a déjà jouée avec un talent sidérant, notamment et récemment dans Clôture de l'amour. Comme dans cette pièce où elle est Audrey, ici son nom est brodé sur une toile descendue des cintres : elle se (con)fond avec son personnage. Sa métamorphose tout au long de cette Jeanne, sa mise à nu comme sa mise à mort sont d'une beauté quasi christique : tel est le sujet dont s'est emparé Romeo Castellucci.

Rompre les chaînes

Le metteur en scène (aux commandes, comme à son habitude, des décors, de la lumière et des costumes) a su, à défaut de gommer un texte souvent répétitif bien que court (1h20), dépouiller Jeanne d'Arc des symboles lourds qu'elle porte malgré elle (le nationalisme que lui attribue le Front National...). Par son décor, en s'appuyant sur des phrases-clés simples (« Mère, j'ai peur du feu qui fait mal »), via une comptine, Castellucci a rendu à Jeanne son enfance, son innocence voire sa naïveté : « l'épée ne s'appelle pas la mort, elle s'appelle l'amour. »

Et surtout, en étant fidèle, parfois dans une quasi imitation de lui-même (l'équidé immaculé), il a dynamité non seulement le plateau que Jeanne ronge mais aussi les traditions de l'art lyrique. Ici, point de chœur ni de chanteur sur scène. Quelques ombres, une partie de la Maîtrise et Denis Podalydès, récitant. Tout est au dehors. Jeanne entend bel et bien des voix. Luxe et attention suprêmes, les interprètes de celles-ci prennent corps, en costumes, lors des saluts !

Jeanne au bûcher
À l'Opéra de Lyon jusqu'au 3 février


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"Ouvrir la voix" au Périscope