Vladimir Cosma : Musiques pour tableaux

Au générique de plus de 250 films et téléfilms pour lesquels il a signé un éventail hallucinant de mélodies, Vladimir Cosma est le prolifique compositeur d'Yves Robert, Francis Veber, Gérard Oury... Il en dirige aujourd'hui l'exécution, à la tête d'un orchestre symphonique.


« On essaie de faire un événement d'une tournée, que je prends comme une continuation de mes métiers de compositeur et de chef. » La voix caressant les “r” plus qu'elle ne les roule, le regard malicieux souligné par un demi-sourire permanent, Vladimir Cosma prend du plaisir à taquiner ses producteurs en minimisant l'événement… pour les rasséréner aussitôt en avouant sa joie de diriger l'Orchestre national de Roumanie.

« C'est une possibilité exceptionnelle de jouer avec un ensemble symphonique au complet. Là-bas, cette tournée est perçue comme une vitrine extraordinaire pour l'orchestre et le pays. »

Une manière de retour aux sources pour ce violoniste formé au Conservatoire national de Bucarest.

Romanian Rhapsody

Issu d'une famille de musiciens, le jeune Vladimir est éduqué dans le classique, découvrant la musique symphonique à l'Athénée roumain, « la plus belle salle : de Chostakovitch à Menuhin, tous les grands artistes y venaient ». Son premier choc, il l'a grâce à la Shéhérazade de Rimsky-Korsakov. Sa modernité, très éloignée du répertoire allemand auquel il est habitué, l'oriente vers Borodine, Moussorgski, Tchaikovski, puis vers Debussy, Fauré, Ravel, Saint-Saëns — deuxième révélation.

À 12 ans, il bénéficie de l'enseignement d'un académicien possédant des livres et disques occidentaux — un privilège insensé dans la Roumanie communiste.

« Il m'a fait entendre du jazz en cachette : le nonet de Miles Davis, le quartet de Jerry Mulligan et Chet Baker, avec qui plus tard j'allais enregistrer ».

S'il écoute Sinatra, Nat King Cole ou Ella Fitzgerald, son oreille se forme aussi à la variété française : Trenet, Bécaud, Gainsbourg, Piaf « un émerveillement ».

Plus tard, lorsque ses condisciples évoluent vers l'atonalisme et le dodécaphonisme, il suit son instinct lui intimant de poursuivre dans la voie de la liberté et du plaisir : « La musique ne doit pas susciter qu'un travail intellectuel ; elle doit chauffer le cœur, donner des émotions. »

Une bienheureuse proposition

Violoniste soliste, il effectue alors le tour du monde grâce aux Jeunesses musicales, et pose ses valises à Paris, où ses talents variés lui valent d'être embauché comme assistant par Claude Bolling ou Michel Legrand, que la Nouvelle vague et bientôt Hollywood s'arrachent.

Pour Vladimir, la musique de film est une quasi-découverte : « Je ne savais pas qu'elle existait en tant que genre spécifique : en Roumanie, il n'y avait que des films de propagande. » Et les premiers de Funès, qu'il allait revoir dix fois, ignorant là aussi qu'il lui taillerait plus tard des partitions sur mesure. Pour comprendre le mécanisme d'une bande originale, l'apprenti compositeur hante les salles du Quartier latin programmant jusqu'à quatre films par après-midi :

« Lire les partitions des grands maîtres, analyser la musique par soi-même, il n'y a rien de mieux. Pas besoin d'un professeur pour apprendre. »

C'est l'indisponibilité de Michel Legrand qui conduit Yves Robert à engager son second pour Alexandre le Bienheureux (1968). Vladimir expérimente alors une idée l'obsédant depuis sa découverte du thème à la cithare viennoise d'Anton Karas pour Le Troisième Homme (1949) de Carol Reed : trouver une couleur instrumentale pour accompagner un film d'un bout à l'autre.

« Une musique de cinéma, ça s'apparente à du papier peint ou à un tableau dans un appartement. Mais même si un papier peint est sublime, je préfère un tableau, qui décore tout autant. Parce que si vous le prenez et le mettez dans un autre appartement, il reste lui-même, il a une identité. »

Comme il n'a pas encore le courage d'appliquer sa théorie jusqu'au bout, il utilise un ocarina basse pour le thème du petit chien ; il introduit ensuite un instrument très particulier, le saxophone sopranino des clowns, dans le premier film de Pierre Richard, Le Distrait (1970).

Pan !

Il franchit le pas dans Le Grand Blond avec une chaussure noire (1972) en convoquant une flûte de Pan et un cymbalum, passant outre les consignes du scénariste Francis Veber qui attendait un pastiche de musique de James Bond.

Ledit Veber manque de s'étrangler pendant la projection-test : « Mais c'est une catastrophe, cette musique de fête juive ! Ça gâche le comique du film ; on n'entend plus le dialogue, ça vient comme un cheveu sur la soupe. » Tétanisé, Cosma invente alors une justification pour ses sonorités “exotiques” : un espion n'est pas forcément anglo-saxon, il peut venir d'Europe centrale, etc.

Ce thème mélangeant instruments traditionnels, rythmique pop et orchestre symphonique, place Vladimir parmi les précurseurs de la world music :

« Avant que ce terme existe ! En Roumanie, on était élevés dans le culte de la musique populaire d'Europe centrale, de Russie et d'autres pays du monde. »

Il convainc Yves Robert de conserver la bande originale intacte ; c'est un triomphe. Et Veber — qui longtemps nia cette anecdote — le priera de composer la B.O. de sa première réalisation, Le Jouet (1976).

« Le succès fait oublier beaucoup choses » ; il attire aussi les commandes. Gérard Oury le contacte pour Les Aventures de Rabbi Jacob (1973) — nouveau standard à la clef. 

Des cinéastes de renom (Édouard Molinaro), et d'autres plus marginaux ou débutants (Pascal Thomas) s'adressent à lui. Qu'est-ce qui guide Vladimir ? L'éclectisme autant que la fidélité.

« Il n'y a aucun lien apparent entre mes musiques. Après avoir utilisé la flûte de Pan, je n'ai plus jamais fait appel à cet instrument. J'essaie de personnifier un film par une couleur musicale. »

Pour Un éléphant, ça trompe énormément (1976), on lui réclame une musique romantique devant signifier le rêve de Rochefort apercevant Anny Duperey. « Une évocation du paradis, or pour moi, le paradis, c'est une île. » Alors il mêle des bruits de mer et des cris de mouette à une pièce pour piano et orchestre symphonique, au grand bonheur d'Yves Robert… jusqu'à l'étape du mixage. « En studio, quelqu'un voulait enlever la mer, prétextant qu'elle faisait bruit de chasse d'eau dans le parking. J'étais désespéré, ça ôtait toute la poésie ! » Vladimir use de sa persuasion auprès d'Yves Robert pour qu'une projection se fasse dans sa version. Un fois encore, son intuition est validée. « Je lui suis reconnaissant à vie de m'avoir écouté. »

S'ensuivra une suite hallucinante de partitions, parfois plus d'une dizaine par an, dont des hits (La Boum, La Chèvre… ). Il avait promis à Beineix, alors assistant de Zidi de l'aider ? Il se décarcasse pour lui enregistrer la musique de son court-métrage, puis pour monter son premier long, Diva (1981). À la clef, son premier César.

Un second couronnera sa collaboration avec Scola sur Le Bal (1984). D'où provient son inspiration ? « De ma vie passée ; pas des images ni des scénarios. Alors, tous les jours à 9h, je me mets à ma table, et je cherche des idées qui viennent — ou pas. » À 76 ans, Vladimir a encore bien des tableaux à composer…

Vladimir Cosma
A la Salle 3000 - Cité Internationale le vendredi 10 février à 20h


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