The Dandy Warhols : posterisés vs postérité

Invités à venir faire chauffer l'Épicerie Moderne, de leurs tubes, surtout, moins de leur dernier album, on ne peut s'empêcher, depuis la sortie d'un certain docu de 2004 baptisé Dig !, de raccrocher la trajectoire des Dandy Warhols de celle de leurs doubles maléfiques (ou peut-être est-ce l'inverse) du Brian Jonestown Massacre. Précisément parce que c'est à partir de ce film que les Dandy devinrent moins intéressants, à tous points de vue, et se firent voler la vedette par le loser de la fable, Anton Newcombe que la postérité gardera quand des Dandy on ne gardera que les posters.


Dieu que la postérité est une méchante fille ! Ce ne sont pas les Dandy Warhols qui diront le contraire, même si cette dernière n'en a encore pas fini avec leur cas comme avec celui de leurs ennemis intimes du Brian Jonestown Massacre.

Rembobinons le temps jusqu'en 2004, année de la sortie de Dig !, documentaire d'Ondi Timoner que tout fan de rock n'ignore plus depuis longtemps. Son sujet, l'ascension parallèle de deux groupes de pop psychédéliques amis : les Dandy Warhols, que le public connaît par cœur, et The Brian Jonestown Massacre, que ce même public, pour la plupart, découvre.

Sauf que le parallélisme, comme l'amitié, ne dure pas bien longtemps. Tandis que, devant la caméra gourmande de Timoner, le Brian Jonestown Massacre n'en finit plus d'imposer, d'exploser, de se bastonner sur scène, de corriger son public, de se fracasser contre les murs, – malgré le génie évident de son leader Anton Newcombe pour composer à la chaîne des chansons fabuleuses et grâce à son même génie pour l'auto-destruction et la volontée farouche de ne jamais se compromettre – les Dandy Warhols, eux, frayant avec l'industrie musicale comme de bons petits alvins enchaînent les succès.

D'autant qu'ils ne sont pas tout à fait manchots dans l'art de composer un tube ou deux à l'occasion et que leur deuxième album Come down (1997) reste une pépite inoxydable.

Tournée des Grands ducs

Là entre en jeu la postérité. Nous sommes en 2004 à la sortie du film, tournée sur sept ans à partir de 1994. A cette date, les Dandy Warhols ont déjà mangé leur pain blanc (et leur public dévoré leur inaliénables tubes Bohemian like you, Get Off, Not if you were the last Junkie on Earth...) et connu tous les succès : le Guardian disant d'eux à la sortie d'Odditorium or the Warlords of Mars, juste après celle de Dig!, « qu'ils délivrent des tubes aussi facilement qu'on sort du lit » (et il n'est pas dit qu'à cette époque il n'ait eu plus de mal à sortir du lit),  une signature chez Capitol, des clips onéreux et glam, et une tournée des Grands ducs (stades, Bercy, Zéniths...) dans la caravane rutilante du Reality Tour de Bowie (2003).

À cette date, le film révèle surtout au plus ou moins grand public l'existence de ce groupe de dingos de bric et de broc qu'est depuis plus de dix ans, le BJM. Et surtout sa discographie dantesque, maniaque, rare car mal ou pas distribuée et sur laquelle essaie alors de se jeter toute personne ayant vu le film (la sortie d'une opportuniste compilation, Tepid Peppermint Wonderland, et son accès gratuit en mp3 sur le site du BJM fera patienter un temps).

Les Dandy Warhols sont des stars (toutes proportions gardées, disons des starlettes), le Brian Jonestown Massacre devient culte et le talent d'Anton Newcombe réhabilité dans la minute. C'est donc la sortie d'un film sur les trajectoires croisées d'une bande de losers géniaux et d'un groupe "d'arrivistes" de talent, pris dans une relation d'amour-haine et de jalousement mutuel qui inversent quasi instantanément et magiquement ces deux courbes. 

En berne

Depuis, le succès des Warhols a quelque peu marqué le pas (quelques difficultés de label s'en sont suivies), sans les remiser pour autant dans l'ombre. Mais c'est surtout leur inspiration, il faut bien le dire, qui s'est mise en berne. Et c'est bien un Anton Newcombe apaisé qui avec la régularité d'une horloge comtoise sort depuis treize ans album sur album, dans la plus totale liberté et avec un accueil critique toujours au bord de l'ébaubissement.

Vieillissant comme du bon vin, à coups d'expérimentations aux accents cinématographiques (Musique de film imaginé, 2015) et de récréations en forme de retour au pastiche psychédélique (Mini album Thingy Wingy, cette même année), tout en jouant le jeu en live de la mise en pâture de ses classiques trop longtemps ignorés.

Ironie du sort, c'est Courtney Taylor, des Dandy, qui se prêtait au jeu de la voix-off de Dig !, qu'il pensait si valorisant pour lui (il y passait surtout pour un vendu, ce qui fut sans doute exagéré), quand Newcombe, qui ne s'est jamais fourvoyé, dit encore aujourd'hui détester ce documentaire qui lui donna cette aura de compositeur maudit et génial. Et fit tomber les masques des poster-boys pour révéler le visage d'une postérité qu'il n'était alors pas trop tôt de déterrer.

The Dandy Warhols
À l'Épicerie Moderne le mardi 14 février


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