La politique, c'est du sérieux

À l'approche du premier tour de l'élection présidentielle, les humoristes s'en donnent à cœur joie pour tourner en dérision les déboires des partis. Entre humour noir, satire et travail quasi journalistique, le métier de comique a évolué ces dernières années. On peut rire de tout ; et souvent avec tout le monde.


Mensonges, emplois fictifs, détournements de fonds publics, magouilles et ragots... Personne ne peut s'y tromper : la France est bien en période électorale. Si cette campagne présidentielle s'annonce morose et met déjà en lumière des affaires qui font certainement rougir Marianne, elle est aussi une mine d'or pour les humoristes. À la radio, à la télévision, dans la presse et dans les salles de spectacle, on rigole quotidiennement des déboires de la vie politique française. L'humour est-il le meilleur remède quand une société s'effrite ? A-t-on seulement déjà autant ri de nos politiques ? Si oui, le faisions-nous de la même manière ? Autant de questions qu'il convient de se poser à l'heure où chroniques et one-man-show s'enchaînent à un débit impressionnant.

Plus profond, le regard

Selon Stéphane Casez, directeur du Boui Boui, du Rideau Rouge et des Tontons Flingueurs, « on ne parle pas plus de politique dans les cafés-théâtres, on en parle simplement différemment. » Adieu l'époque des chansonniers rois, des blagues sur tel homme politique ou telle actualité. La période est à un regard plus profond. « Jim, qui a fait un an au Boui Boui, parle de la société en général. Pour moi, c'est de l'humour politique au sens premier du terme », poursuit Stéphane Casez.

Derniers représentants des chansonniers, les imitateurs seraient eux aussi voués à disparaître. « Les places sont chères », confesse le directeur du Boui Boui. Ce basculement vers un humour souvent cynique, sociétal et global, s'est également opéré hors des cafés-théâtres, sur les planches des salles de spectacle. Stéphane Guillon et Gaspard Proust, pour ne citer qu'eux, illustrent à merveille cette nouvelle école d'humour politique. Et, c'est sans doute le plus important, ce sont des artistes engagés. « Quand on fait un spectacle politique, il y a forcément un engagement derrière. C'est indéniable. Si vous prenez Pierre-Emmanuel Barré, par exemple, il y a un engagement clair et net », précise Julien Roux, directeur de l'Espace Gerson.

Côté spectateur, un paradoxe est vraisemblablement né : beaucoup ne veulent plus voir de spectacles politiques mais ceux qui le souhaitent les veulent toujours plus sérieux, toujours plus engagés et surtout toujours plus acides. « Je pense qu'il y a un besoin de profondeur, que le public est moins en demande de superficialité sur ce type d'humour, j'insiste. À côté de ça, il y a des spectacles très légers qui ne parlent pas de politique et qui cartonnent. Beaucoup veulent simplement se marrer », affirme Stéphane Casez, rapidement rejoint sur ce point par Julien Roux : « Soit les gens sont à fond, soit ils préfèrent voir autre chose. Il n'y a pas vraiment de juste milieu. »

Résultat : les spectacles proposés sont toujours plus travaillés. Alors que Jim a cartonné au Boui Boui, l'Espace Gerson accueille lui L'Ascension, spectacle retraçant la carrière d'un homme politique, de son entrée à l'ENA jusqu'à la fin de sa carrière. Un spectacle d'autant plus impressionnant qu'il a été réalisé avec des témoignages de véritables hommes politiques.

Jaune, le rire

Ce glissement progressif vers un humour plus sombre met les comiques face à de nouvelles responsabilités. Certains, comme c'est le cas pour beaucoup de chroniqueurs de France Inter, sont aujourd'hui bien plus que de simples trublions. « Une chronique humoristique peut compléter le travail d'un journaliste », analyse par exemple Julien Roux. De là à pousser les humoristes politiques à ne plus être que des politiques ? Impossible pour Stéphane Casez :

« Les temps ont changé. La société française était moins soumise à des tensions qu'aujourd'hui. Aujourd'hui le chômage est plus fort, le FN est à 30%... Les gens étaient plus réceptifs pour soutenir la candidature d'un clown, dans le bon sens du terme. »

Ainsi donc le nouveau Coluche ne serait pas encore parmi nous, bien que l'héritage du clown continue à planer sur l'humour politique. Nos élus quant à eux continueront de nous faire rire, directement ou indirectement. Après tout, les hommes politiques ne seraient-ils pas des hommes qui font le même métier que Coluche, sauf qu'ils mettent moins de rouge sur le nez ?

L'Ascension
À l'Espace Gerson les deux premiers mardis de chaque mois jusqu'à l'élection présidentielle

Gaspard Proust
Au Radiant-Bellevue le mercredi 15 février

Sophia Aram
Au Radiant-Bellevue le mercredi 29 mars


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