L'Amérique du Sud

Fille du Sud des États-Unis et pas près de le quitter, Adia Victoria brasse en profondeur son atmosphère unique et inquiétante, se jouant des démons qui s'y enracinent, à travers un garage blues à se damner qui mêle la rage la plus poisseuse à la grâce la plus pure.


L'an dernier, un nanard cosmique à tendance horrifique titré Southbound faisait état d'une malédiction à laquelle il est difficile de ne pas souscrire : on ne s'échappe pas du Sud des États-Unis car toutes les routes non seulement y mènent, mais surtout y ramènent comme une malédiction.

Adia Victoria ne chante pas autre chose sur Stuck in the South : « Yeah, I've been thinking about making tracks / But the only road I know/It's going to lay me back / I'm stuck in the South ». Native de la Caroline du Sud, elle n'a jamais vraiment pu quitter le Sud profond des États-Unis. Elle y a surtout tourné en rond.

Passée par la Georgie, brièvement par New York et, toute jeune, par Paris – où elle a attrapé le goût des poètes français – la jeune femme a fini par s'installer à Nashville, Tennessee, aka Music City. Le Sud toujours. Mais là où, dans la grande marmite officielle de la country, des centaines de musiciens tentent de faire rissoler leurs ambitions à l'échelle nationale en s'attifant en cow-boy, c'est l'esthétique Southern Gothic chevillée au corps (œil possédé, voix de prêtresse vaudou) qu'Adia Victoria a choisi de s'exprimer, la boussole toujours braquée plus au Sud.

Exorcisme

Sur son album Beyond The Bloodhounds, Adia remue, guitares en mains, l'atmosphère poisseuse où se nichent les démons du Sud qui lorsque vous y vivez sont aussi les vôtres – le racisme, la violence, l'alcoolisme, la tromperie, la bigoterie superstitieuse... 

À la croisée des chemins folk et garage gospel (le tellurique Dead Eyes ; le déchirant, à tous les sens du terme, And then you die). Avec le blues pour recouvrir le tout (Howlin' Shame, envoûtant), indissociable du Sud en tant qu'il permet de regarder les démons précités dans les yeux, de s'en nourrir, de pactiser avec eux comme Robert Johnson vendant, selon la légende, son âme contre quelques notes de musique.

Mais ce ne sont pas seulement des chansons terribles que négocie ici Adia, c'est un peu de liberté à regarder dans les yeux. La vérité est que si l'on peut peut-être sortir le sudiste du Sud, on ne peut pas sortir le Sud du sudiste. Trop consciente de cela, la musique d'Adia Victoria, possédée par ses racines, est bien une manière d'exorcisme et de conjuration.

Adia Victoria
Au Marché Gare le samedi 11 mars


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Patrick Chamoiseau invité d'honneur du Printemps des poètes