Julia Ducournau

D'ores et déjà assuré de figurer parmi les concurrents au prix du meilleur premier long-métrage l'an prochain, Grave est avant même sa sortie un phénomène international.


D'où vous vient cet attachement viscéral à la question du corps et l'organique ?
Julia Ducournau : La question de l'organique est depuis toujours au centre de ce que je fais — même dans mon premier court-métrage pourri à la Fémis ! C'est une thématique très personnelle : l'intérêt pour le corps existe depuis que je suis toute petite. Mes parents sont médecins, ça a nourri beaucoup de fantasmes chez moi et mes premières amours cinéphiles (Cronenberg, dont je parle tout le temps) traduisent bien le fait que pour moi, le corps a toujours été un sujet passionnant par sa trivialité et son aspect ontologique, humaniste. Quand je fais mes films, je parle d'abord aux corps des spectateurs avant de parler à leur tête. J'aime beaucoup l'idée de ressentir des choses avant de les analyser. Les films où je prends le plus de plaisir sont comme ça. C'est ce que j'essaye de faire en général, et ça a d'autant plus d'importance dans Grave, où la personne avec qui je lie ombilicalement le spectateur est une jeune fille qui devient cannibale. La grammaire du body horror permet de poser ces questions-là de manière vraiment organique et profonde.

Le travail sur le son, notamment par l'utilisation des basses fréquences, participe également de cette écriture sensorielle…
Il y a un travail colossal qui est fait pour que l'on éprouve une sensation physique. Même la pensée de la lumière rejoint cette dynamique : comment montrer telle ou telle chose ? Comment réussir à créer une empathie pour mon héroïne ? Toutes les scènes de cannibalisme sont traitées à la lumière de manière très réaliste. Je ne dis pas “naturaliste”, mais “réaliste” : les sources sont dans le champ. On les voit, elles sont légitimées ; on n'a pas un bleu électrique, un vert qui pète, ni un orange. Mais quelque chose qui donne une impression d'immédiateté, parfois de suffocation. Cette manière que Ruben Impens, le chef-opérateur, a de l'éclairer permet de ne pas la montrer comme un monstre, bien que ce qu'elle fasse soit absolument intolérable. À l'opposé, toutes les scènes domestiques et de comédie, plus “acceptables”, vont avoir un twist à la lumière, pas du tout réaliste ni naturaliste.

Pourquoi cette “gestation” de neuf mois à travers les festivals étrangers avant de sortir Grave en France, alors qu'il est prêt depuis la Semaine de la Critique à Cannes ?
Notre distributeur international est une filiale d'Universal. Quand on a des partenaires aussi gros qu'un tel studio, on est soumis à quelques négociations. Comme chez Wild Bunch, mon distributeur français, tout le monde voulait qu'il y ait tournée de festivals. On s'attendait à en faire moins, mais vu qu'avec Universal on s'est dit que ça serait bien d'aller à Sundance en janvier, on a été obligés de se calquer sur la sortie américaine, le 10 mars, pour plein de raisons sur lesquelles je n'ai pas beaucoup de prises. J'imagine que s'ils ont décidé qu'il fallait que je sorte maintenant, c'était une bonne idée.


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