Claude Lelouch

Claude Lelouch n'en a pas fini avec l'envie de filmer. Et ce n'est pas parce qu'il tourne autour des Hospices qu'il songe à l'hospice : son truc à lui, ce serait plutôt les bons auspices…


Comment avez-vous repéré les talents d'acteur de Me Dupond-Moretti ?
Claude Lelouch : C'est mon métier, je ne sais rien faire d'autre (sourire). C'est quelqu'un que j'ai admiré. J'avais l'impression de voir Lino Ventura : ce type a une force incroyable ! Si je pouvais la conserver derrière une caméra, ce serait génial. Je l'ai rencontré par un copain, on a sympathisé et il m'a invité à une audience. Sa plaidoirie a duré 1h30, le temps d'un long-métrage. J'ai regardé tous les gens qui jugeaient l'accusé et je me suis dit que c'était eux qu'il fallait juger : l'avocat général qui réclame la perpétuité, le président qui se prend pour Dieu, les gens dans la salle qui viennent pour déguster le malheur des autres, les jurés… J'ai imaginé que tous avaient des casseroles : on a tous les qualités de nos défauts, on a tous des jardins secrets.

Est-ce la vie qui vous donne l'envie de faire du cinéma, ou bien le cinéma qui vous donne le plaisir de la vie ?
Je vie une double histoire d'amour avec le cinéma et la vie. L'un renforce l'autre, ils sont complémentaires. La vie est le plus grand scénariste du monde ; je lui dois tout. J'aime la vie avec tous ses défauts — surtout avec ses défauts, car il n'y a rien de plus photogénique que la merde, que ce qui ne marche pas. Et je trouve le chaos actuel d'une photogénie absolument incroyable : jamais les gens ne se sont autant amusés du malheur des autres. Qui a élu Trump ? Qui a fait le Brexit ? Qui va élire notre prochain président ? C'est le chaos, c'est-à-dire la confusion des gens, qui ont perdu tous leurs points de repères. Je crois à l'incroyable fertilité du chaos, puisque tout ce que j'ai réussi dans ma vie est venu d'un chaos.

Dans Chacun sa vie, vous invoquez le Destin, le Hasard ou l'horoscope. L'irrationnel, en somme, pour trouver un ordre dans chaos…
C'est l'irrationnel qui va aujourd'hui inventer demain. Quand je vous disais que la vie est le plus grand scénariste du monde. Est-ce que moi j'oserais mettre dans un film un mec qui aux Oscar se trompe sur le meilleur film de l'année ? Si je mets ça dans un film, vous dites, « ça suffit » et je prends une mauvaise critique !

Le chaos actuel permet d'éviter les guerres. Pour l'instant, il y a plein d'incendies partout ; ce qu'il faut c'est trouver les bons pompiers pour éteindre les incendies. S'il n'y en a pas, alors il y aura le feu partout. Mais comme je suis positif, je sais que ce qui nous arrive en ce moment c'est pour notre bien à tous. À court terme, on a ce qu'on mérite ; à long terme, c'est pour notre bien.

Pour qui voter, alors ?
Ah, je suis bien emmerdé… C'est le chaos ! (rires)


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