Frigo : complètement givrés !

Le Musée d'art contemporain ouvre ses cimaises au collectif d'artistes Frigo, qui officia à Lyon de 1978 jusqu'au début des années 1990. Une exposition réussie où l'on retrouve, presque palpable, l'électricité de ce groupe avant-gardiste.


1978 : Valéry Giscard d'Estaing appuie sur les touches de son accordéon dans les palais de l'Élysée. Le baron Empain est enlevé, Claude François s'éteint dans sa baignoire et la légion saute sur Kolweizi... À Lyon, Collomb (Francisque de son prénom) entame son premier mandat à l'Hôtel de Ville. Bref, rien de bien folichon quand on a une vingtaine d'années et qu'on sort de l'École des Beaux-Arts.

Mais si le contexte ne porte ni n'enthousiasme, alors autant essayer de le changer, histoire au moins d'affirmer son arrogance et d'attirer le regard des filles... « Quelques-uns de ces jeunes gens modernes refont le monde en ouvrant une galerie expérimentale. Les cours d'histoire de l'art leur ont appris que chaque génération depuis la Renaissance, existe en tournant le dos à celle qui lui a précédé. » écrit Alain Garlan dans Rois de la forêt (paru cette année aux éditions Hippocampe).

Avec Gérad Bourgey et Gérard Couty, bientôt rejoints par le vidéaste Charles Picq (1952-2012) et beaucoup d'autres, Alain Garlan fonde le collectif artistique Frigo qui s'installe dans une ancienne fromagerie de la rue Saint-Michel. « Nos exemples se trouvaient surtout du côté de Dada, confient Alain Garlan et Gérard Bourgey. Mais on restait indépendants de tout mouvement politique et on avait avant tout envie de se marrer. »

Mix

Les compétences du groupe sont hétéroclites : peinture, vidéo, graphisme, scénographie théâtrale... Et très vite, l'idée, avant-gardiste à l'époque, de "mix" émerge quasi naturellement : mix des individus, des pays (en se mettant en lien avec d'autres collectifs à l'étranger), des langues, des disciplines artistiques...

Dans l'ancienne fromagerie, ça fleure bon la liberté et l'anarchie, mais Frigo sait aussi très rationnellement trouver ses sources de financement en réalisant des affiches pour les théâtres lyonnais et en vendant des vidéos documentaires dans le secteur culturel. Charles Picq collabore avec des chorégraphes (Dominique Bagouet, Régine Chopinot...), le groupe capte aussi l'effervescence de la scène "performative" des années 1980 et accueille entre ses murs des performances de Dieter Appelt par exemple. En 1980, Frigo présente son premier spectacle provoc' Avis de décès au TNP, à partir d'un texte d'Heiner Müller.

Il y a encore la radio (Radio Bellevue en 1981), les revues (papier ou vidéo), les projections de cinéma expérimental, et même une installation-vidéo autour de l'eau commandée en 1983 par... le Centre Pompidou à Paris.

Énergie

À travers une scénographie dynamique (notamment une évocation concrète des lieux : la fromagerie, le studio de Radio Bellevue...), l'exposition au Musée d'art contemporain rend compte de cette aventure artistique et underground migrante, rhizomatique, pluridisciplinaire. Photographies d'archives, vidéos de reportage ou de création, musiques et sons fourmillent et restituent la fièvre créative de Frigo...

« Cette idée peut-être un peu naïve de pouvoir changer le monde avec l'art » se souviennent Alain Garlan et Gérard Bourgey. Du côté artistique justement, on peut retenir de Frigo deux choses surtout... D'une part, la diffusion à Lyon (et donc en France) d'une scène artistique voguant entre danse et performance et dont les noms, aujourd'hui, sont inscrits dans les livres d'histoire de l'art contemporain : Orlan, Dieter Appelt, Hermann Nitsch, Régine Chopinot, Benni Efrat...

Et d'autre part, une créativité propre au groupe autour de la vidéo, naissante à l'époque. Frigo tente de trouver un langage artistique inhérent à ce médium, notamment en montant des images vidéos un peu "hystériques" à partir du son et de la musique, et non l'inverse. Cette technique, aujourd'hui très usitée notamment dans les clips vidéo, visait à « produire de l'énergie se transmettant directement aux spectateurs ».

En revoyant ces vidéos et en parcourant l'exposition, cette énergie s'avère être toujours vivace et contagieuse.

Frigo Génération 78/90
Au Musée d'art contemporain jusqu'au 9 juillet


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