Archiviste de soi-même

L'artiste Éric Rondepierre, connu pour ses détournements d'images, présente à Lyon une singulière exposition dont l'objet n'est autre que lui-même et son adolescence tragique.


Partons d'un axiome imaginaire : toute surface rectangle est un espace d'apparition ou de disparition, toute surface rectangle est aussi un espace de pensée... Et c'est à partir d'un certain nombre de rectangles qu'Éric Rondepierre retrace au Bleu du Ciel une partie de son autobiographie, celle de son adolescence. Un premier rectangle de papier du Tribunal pour enfants de la Seine, datant de 1963, bouleverse sa vie en l'arrachant à sa mère et en le plaçant en institution.

La vie y est dure, isolée, rythmée de marches forcées et de quelques voyages scolaires... Le dimanche, l'adolescent découvre un nouvel espace : celui des écrans de cinéma, expérience qui, beaucoup plus tard (dans les années 1990), donnera l'idée à Rondepierre de fouiller les archives cinématographiques pour en extraire des photogrammes incongrus, corrodés par le temps, brûlés, et les tirer en grand format. Son œuvre artistique s'ouvre alors sur ce geste : montrer ce qui ne se voit pas, dévoiler l'insu et l'invisible...

Trouvé-créé

Ce geste artistique résonne de manière inversée avec sa biographie où l'État, d'un geste juridique et violent, arrache l'enfant au cadre de la vie familiale (au cadre rectangulaire aussi de la "photo de famille" et des apparitions coutumières d'une vie "normale"), pour le cacher en institution. C'est donc à partir de l'absence, du manque, de l'anonymat, de l'écart à la norme, qu'Éric Rondepierre (qui est né en 1950 à Orléans), constitue son œuvre artistique, comme il reconstruit aussi une vie possible, une subjectivité.

La notion d'archive y est aussi centrale : archives qui retracent en creux un chemin de vie (comme le philosophe Michel Foucault a pu les lire dans nombre de ses textes, dans La vie des hommes infâmes en particulier), archives qui permettent à l'artiste plus âgé de redéployer des images tout à la fois existantes, invisibles et "nouvelles"... La première partie de l'exposition se penche sur ces archives écrites ou visuelles (dont une série de photos sur l'internat de l'adolescent). La seconde mêle l'archive autobiographique à l'œuvre, avec des images de films, des écrans noirs où n'apparaissent que des sous-titres... Elle se termine par d'ultimes surfaces rectangles : celles de couvertures de livres (Genet, Musil...) ayant l'enfance pour thème. Dans un ultime passage de l'archive à la fiction et à la créativité.

Éric Rondepierre, Confidential report
Au Bleu du Ciel jusqu'au 22 avril


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