L'Opéra

Des coulisses aux cintres, des tensions sociales aux minutes de silence, des répétitions aux applaudissements, une suite d'instantanés façons puzzle glanés durant une saison de l'Opéra de Paris visant à désacraliser cette institution culturelle française majeure. Avec bienveillance.


Philippe Martin, producteur habituel de Jean-Stéphane Bron, ne s'en cache pas : grand amateur d'art lyrique et familier de Stéphane Lissner (le directeur de l'Opéra de Paris), c'est lui qui a soufflé l'idée, pour ne pas dire commandé ce film au cinéaste helvétique, pur néophyte dans cet univers. Mais est-ce en cela un problème ? L'œil du candide capte souvent des mouvements insolites que l'habitué, blasé malgré lui, ne perçoit plus.

Bron s'est donc immergé pendant 130 jours dans les murs de l'Opéra, le découvrant lui-même pour le faire découvrir au spectateur. Avec la chance du débutant, du point de vue dramaturgique : couvrant la saison 2015-2016, il suit donc des grèves à répétition, les conséquences des attentats parisiens, l'arrivée et le départ de Benjamin Millepied… davantage du côté directorial, offrant ainsi un contrepoint (ou un contrechamp) à l'excellent Relève : histoire d'une création de Thierry Demaizière & Alban Teurlai, tourné concomitamment — on y reviendra.

C'est l'heure de l'Opéra

Dans ce kaléidoscope de métiers et cet écheveau d'événements, on découvre un monde d'un professionnalisme paroxystique (et certains ego à l'avenant) ; la fraternité entre des artistes lyriques et leur capacité à remplacer des confrères au débotté. Bron montre la passion des “petites mains” comme celle d'un jeune baryton-basse, Micha Timoshenko — mascotte du film —, entrant à l'Académie de l'Opéra, dont la sincérité fougueuse ne peut qu'émouvoir. Il révèle également le complexe de supériorité dont cette Maison est consciente de souffrir, et qu'elle tente de guérir en réfléchissant à sa politique tarifaire ou en faisant financer par des mécènes des ateliers à destination des jeunes des banlieues. Un petit côté dame-patronnesse…

Autrement plus esthétique (par choix), Relève… ne s'attache qu'à l'éphémère directeur du Ballet de l'Opéra, Benjamin Millepied. En théorie. Car en collant à l'artiste-chorégraphe, il épouse également ses pas d'ouvrier en lutte contre les lourdeurs ou la poussière d'une machine brontosauresque, dont le film dévoile collatéralement la mécanique. Relève… met l'humain au centre de toute chose, quand L'Opéra place l'immuable d'une institution forcément plus abstraite et impersonnelle en préambule axiomatique. De ces deux films complémentaires, il n'est pas interdit de préférer le premier.

L'Opéra, de Jean-Stéphane Bron (Sui-Fr, 1h50) documentaire


<< article précédent
Les 5 expos à voir en avril