Joris Mathieu : quand la machine avale l'acteur

Que reste-il de l'homme quand les machines qu'il a créé à foison prennent sa place ? Avec Hikikomori et ses comédiens fantomatiques, Joris Mathieu nous avait laissé loin de son propos mais voilà qu'il nous intrigue à nouveau par sa nouvelle pièce, Artefact. Entretien.


Pourquoi écrire, d'après la prose de Philip K. Dick, sur le sujet des objets ?
Joris Mathieu : C'est toute l'histoire de la science-fiction qui a elle-même nourri toute l'histoire de la société. Et vice-versa. Science-fiction et science sont intimement liées : on peut avoir le sentiment que tout le projet sociétal dans lequel on vit aujourd'hui est empreint d'un imaginaire collectif de science-fiction, comme si ça nous avait amené à produire le monde tel qu'il est par prophétie auto-réalisée.
Je choisis mes sujets par intuition et Artefact est une espèce de convergence dont la conclusion serait : depuis que l'Homme est Homme, il a toujours cherché à produire (des objets pour sa survie, son confort...) mais ça s'est transformé en multiplication des objets. Produire pour produire et être éternellement insatisfait de ce qu'on a produit.
La logique de progrès et d'innovation ne s'arrête jamais. Cette productivité a dégradé notre environnement et notre milieu naturel, mais ça ne nous arrête pas. Cette alerte nous est renvoyée quotidiennement par les scientifiques et les politiques, mais n'empêche pas la fuite en avant, comme si le salut de notre présence sur Terre passait encore par l'innovation et la découverte qui nous permettra de combattre ce qu'on a créé, de repousser nos limites. Or on sait que l'humanité va avoir un terme plus ou moins rapide.

Pour rendre concrètes ces prévisions, vous supprimez donc les humains du plateau ?
J'ai l'impression que pour aller au bout du projet, il faut que la représentation à laquelle on assiste soit une représentation des machines à l'intérieur de laquelle les seuls humains en présence soient les spectateurs ou les visiteurs. Il y aura plus de projections holographiques que dans mes spectacles précédents, moins d'illusion d'optique.
Artefact c'est aussi l'idée de "faire art" artificiellement, c'est relatif à l'artisanat. Est-il possible d'imaginer à quoi vont servir les plateaux de théâtre quand les machines auront remplacé les acteurs, quand on aura considéré que ce sont des espaces non rentables et qu'il faut inventer des expositions théâtralisées avec ouverture permanente, un "théâtre permanent" selon l'expression de Gwenael Morin, mais sans humain ?
On nous parle aujourd'hui des machines qui vont se subsister à l'emploi et rendre caduques 10% d'entre eux dans les prochaines années, si c'est vrai pour les emplois de services et autres, pourquoi ça ne le serait pas pour le théâtre et si c'est possible, qu'est-ce que ça raconte sur l'art ? Est-ce qu'une machine peut se substituer à l'art de l'acteur, qui est une répétition des mêmes gestes jour après jour ?

Restera-t-il une narration ?
La narration passera par une voix off, des projections de mots... (NdlR, c'était en cours de fabrication au moment de l'entretien). Ce n'est pas un spectacle frontal, mais plutôt des espaces à visiter avec des narrations de dix à quinze minutes, comme des pièces courtes qui se font écho. C'est une forme d'installation-performance un peu muséographique.

Artefact
Au TNG-Les Ateliers jusqu'au 13 avril


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