"L'Homme aux mille visages" : espion, venge-toi !

Transformant une escroquerie d'État des années 1980 en thriller rythmé et sarcastique, le réalisateur de "La Isla minima" poursuit à sa manière son exploration critique de la société espagnole post-franquiste, quelque part entre "Les Monstres", "L'Arnaque" et "Les Affranchis".


Remercié par les services secrets espagnols et ruiné, le rusé Paco Paesa a dû se reconvertir du trafic d'armes vers l'évasion fiscale. Quand Luis Roldán, patron de la Garde Civile soupçonné de détournement de fonds, réclame son aide, il flaire le bon coup pour se refaire. Du billard à mille bandes…

Contrairement à Fantômas, Paco Paesa n'a nul besoin de revêtir de masque ni d'user de violence pour effectuer ses coups tordus. C'est par la parole et l'apparence, en douceur, qu'il arrive à ses fins, laissant croire à son interlocuteur ce qu'il a envie de croire. En cela, L'Homme aux mille visages rappelle la grande époque de la comédie italienne, dans sa manière notamment de ridiculiser, voire d'infantiliser les puissants, ravalés au rang de marionnettes dans les mains d'un manipulateur habile. Et de prendre les ambitieux, surtout les corrompus, au piège de leur avidité — c'est "l'arrosé” arrosé, en somme.

Faux et usage de vrai

Alberto Rodríguez est de ces cinéastes qui, à l'instar de Sorrentino pour Il Divo (2008), s'emparent de faits avérés et de personnalités authentiques pour les placer au service d'une œuvre gouvernée par une pensée purement cinématographique.

Très éloigné de ces “biopictographes” cherchant à cloner une vérité historique supposée, il a pour priorité de raconter son histoire, inscrite dans un contexte particulier ; et s'arroge pour ce faire le droit d'être transgressif en adoptant pour ce thriller nerveux une forme ludique. Une surenchère rythmique scorsesienne qui n'a pas besoin d'être appuyée par les comédiens. Leur sobriété contribue à l'impression de vérité de ce film, qui en dit si long sur la vanité humaine ; et cette chose à géométrie très variable, par d'aucuns nommée “raison d'État”.

L'Homme aux mille visages de Alberto Rodríguez (Esp, 2h02) avec Eduard Fernández, José Coronado, Marta Etura…


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17e Festival Cinéma du Sud