Muriel Pic et Marc Desgrandchamps : les mots et les images

Deux très prometteuses rencontres ont lieu cette semaine autour des liens entre les images et les mots, avec, respectivement, l'écrivaine Muriel Pic et le peintre Marc Desgrandchamps.


« Devant la caméra de Franju, les animaux me regardent. Ils me regardent avec cette insistance muette, sans concept, qui me fait penser, parler, réfléchir à mon humanité » écrit Muriel Pic dans En regardant le sang des bêtes. Ce petit livre est né du visionnage du court documentaire de Georges Franju, Le Sang des bêtes (1949), sur les abattoirs de la banlieue parisienne.

Autour des images cruelles de ce film, Muriel Pic (écrivaine, critique littéraire et traductrice) a composé cent fragments qui entremêlent archives visuelles et textuelles relatives au tournage du documentaire, retours sur son autobiographie, portraits d'écrivains en lien avec les animaux (La Rochefoucault, Michel Leiris, etc.)...

Comme dans d'autres de ses livres, Muriel Pic s'empare à la fois de l'archive et de l'art du montage, cher à Walter Benjamin. Montage dont la part magique, selon elle, « tient à la liberté de l'attraction entre les fragments qui n'a rien de systématique ni d'arbitraire, rien d'objectif ni de subjectif. Elle n'équivaut pas à un lien fixe et stable, c'est plutôt un passage, au sens temporel autant que spatial, autrement dit une fulgurance, une petite comète, une bouffée de divination ou une brève intuition. »

Figures du doute

Lors d'une conférence tenue à Lyon en 2012, le peintre Marc Desgrandchamps présente à son auditoire plusieurs images d'archives et d'art, dont les relations « sont les moteurs de recherches et de pensées qui stimulent et orientent la réalisation d'un tableau, tableaux que je voudrais parfois comme des films sans narration et paradoxalement figés. »

Chez Marc Desgrandchamps, comme chez Muriel Pic, le cinéma et le montage sont au cœur de l'idée d'une création contemporaine qui a pris acte de la disparition des formes de création "anciennes" (représentation réaliste, histoire, récit linéaire...), torpillées par la modernité puis la post-modernité. La galerie parisienne de Marc Desgrandchamps publie un ouvrage rassemblant textes, interviews et conférences de l'artiste, où celui-ci ne cesse d'interroger l'histoire de l'art et de la pensée, et l'actualité des images. En lien avec elles, il parle aussi de sa propre peinture et de ses si curieuses "Figures du doute" qui semblent toujours se déliter ou s'effacer au beau milieu de paysages ensoleillés.

« Le plan fruste de la toile s'avère être pour moi le lieu où la présence figurale peut se maintenir. Ce n'est pas la nostalgie d'un centre perdu, juste la conscience d'une précarité que la représentation tente de conjurer, tentative malaisée d'où émane la gaucherie indéterminée des figures. »

Muriel Pic, En regardant le sang des bêtes (Trente-trois morceaux)
Au Bal des ardents le 26 avril

Marc Desgrandchamps, Lignes (Galerie Lelong)
À la Galerie Descours le 27 avril


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