Lyon, terre d'édition BD

Comment la Seconde guerre mondiale et l'implantation de la Résistance à Lyon ont initié un terreau fertile pour la bande dessinée à la Libération.


Lyon est une terre de bande dessinée qui s'est longtemps ignorée. Peut-être parce qu'elle l'est devenue un peu par défaut, conséquence des soubresauts de l'Histoire ayant contraint dessinateurs et éditeurs à se replier entre Rhône et Saône, durant la Seconde guerre mondiale. Car c'est bel et bien là que tout débute. C'est à ce moment-là qu'un auteur comme Chott, de son vrai nom Pierre Mouchot, évadé des geôles allemandes, s'installe à Lyon et rejoint les éditions SAGE (Société Anonyme Générale d'Édition) fondées par Ettore Carozzo, arrivé lui en 1940, fuyant le fascisme de Mussolini.

Comme d'autres éditeurs locaux, SAGE (qui deviendra Sagéditions) s'est vite fait une spécialité des petits formats vendus peu chers : ici l'on trouve des séries comme Mandrake, Le Fantôme du Bengale ou plus tard, Raoul et Gaston. Chott travaille sur Jumbo, tout en s'engageant dans la Résistance. Et s'associe à la fin de la guerre avec Marcel Navarro, rencontré dans les bureaux de SAGE, pour créer leur propre série : ce sera Fantax, énorme succès, qu'il décide vite de publier dans sa propre maison, les Éditions Pierre Mouchot (qui deviendront la Société d'éditions rhodaniennes). Fantax, histoire de justicier masqué inspirée de Batman, se démarque par des couleurs vives et une certaine violence. Mouchot publie alors à la chaîne son propre travail (parfois trop fortement inspiré de séries américaines...) comme celui d'autres dessinateurs. Point crucial : les anciens de la Résistance, nombreux à Lyon, bénéficient alors d'aides pour obtenir un bien précieux, le papier, entraînant un boum de l'édition jeunesse dans la région, après-guerre.

Pierre Mouchot continuera jusqu'à ce que la loi de juillet 1949, sensée protéger la jeunesse de certaines publications et préserver les bonnes mœurs, ne vienne le stopper dans son élan. Après des années de conflits judiciaires, en 1961, il jette l'éponge et nombre d'éditeurs de ces petits formats populaires, imaginatifs et parfois violents s'autocensurent.

Parmi eux, l'emblématique Lug à qui le LyonBD Festival a consacré l'an dernier une exposition : on retrouve à sa naissance le suscité Marcel Navarro, toujours scénariste sous pseudo J.-K. Melwyn-Nash et ici directeur artistique, associé cette fois à Alban Vistel. Tous deux créent cette maison, également spécialisée dans les petits formats, en 1950. Son nom vient de Lugdunum...

Alban Vistel, dit Colonel Alban, est lui aussi un ancien Résistant : il dirigeait les Forces Françaises de l'Intérieur de la région lyonnaise. Et avait déjà fondé avec Bernadette Ratier les éditions Aventures & Voyages, deux ans plus tôt. Bernadette Ratier (ancienne Résistante, bien sûr : elle avait lancé durant la guerre le périodique Femmes patriotes) faisait de son côté travailler plusieurs dessinateurs comme Jean Cézard et Pellos dans son périodique Mon Journal, depuis 1946, avant de filer à Paris.

Chez Lug, les succès sont légion : de Mustang à Blek, en passant par Zembla (un dérivé de Tarzan), les périodiques se multiplient et font la joie des amateurs d'histoires à suivre (ou non) où western, explorateurs et magie se partagent les pages. Ceux-ci vont bientôt se délecter d'un tout nouvel univers, celui des super-héros, débarquant à leur tour de l'autre rive de l'Atlantique. C'est en effet via Lyon, en 1969, que Marvel prend pied en Europe : Lug a la licence pour traduire et publier Strange ou les aventures des X-Men, du Surfer d'Argent et des Fantastiques, avec des couvertures originales signées de Jean Frisano, qui avait lui-même débuté chez Sagéditions en 1948. Là encore, la censure sévit mais Lug slalome entre les interdictions, retouchant parfois les planches originales venues des États-Unis. Jusqu'en 1980, Lug continuera de surfer sur le succès, avant d'être vendue en 1989 à l'éditeur Semic, devenant Semic France. C'est seulement en 1999 que les bureaux seront transférés à Paris.

Parmi les auteurs ayant bénéficié des talents de scénariste de Marcel Navarro (qui avait pour habitude d'écrire le scénario des premiers épisodes avant de confier la série aux dessinateurs), on peut noter Robert Bagage, qui signait Robba. Car lui aussi dirigea une maison d'édition après-guerre : les éditions du Siècle, bientôt renommées Impéria (qui publiait Garry ou Buck John). Mais tout ceci n'est que le premier épisode d'une histoire qui sera contée par une exposition nommée Vlan, courant jusqu'à nos jours, à la bibliothèque de la Part-Dieu. Et paf.

Vlan - 77 ans de bande dessinée à Lyon et en région
À la Bibliothèque de la Part-Dieu du
16 mai au 4 novembre


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