Alien : Covenant : La bête immonde est de retour

Après une patiente incubation, Ridley Scott accouche de son troisième opus dans la saga Alien, participant de son édification et de sa cohérence. Cette nouvelle pièce majeure semble de surcroît amorcer la convergence avec son autre univers totémique, Blade Runner. Excitant.


L'ouverture d'Alien : Covenant se fait sur un œil se dessillant en très gros plan. Ce regard tout neuf et empli d'interrogations est porté par l'androïde David, création du milliardaire Peter Weyland. Aussitôt s'engage entre la créature et son démiurge une conversation philosophique sur l'origine de la vie, où affleure le désir de la machine de survivre à son concepteur. L'image mimétique d'un instinct de survie, en quelque sorte. 

Cet œil inaugural, immense et écarquillé, reflétant le monde qui l'entoure, fait doublement écho non à Prometheus — dont cette séquence est la préquelle et la totalité de Covenant la suite — mais à l'incipit de Blade Runner (1982) du même Scott. L'œil y apparaît pareillement, pour réfléchir un décor futuriste et comme miroir de l'âme : c'est en effet par l'observation des mouvements de la pupille, lors du fameux test de Voight-Kampff, que l'on parvient à trier les authentiques humains de leurs simulacres synthétiques, les “répliquants”.

Le David d'Alien rêve-t-il, comme eux, de moutons électriques ? Il n'est en tout cas pas anodin que Scott s'interroge à nouveau sur le désir d'une intelligence artificielle de supplanter celle qui l'a programmée. Ni qu'il effectue aujourd'hui ce singulier rapprochement entre ces deux stèles de la science-fiction qu'il a érigé dans le dernier quart du XXe siècle.

Clonage de faire

Covenant suit une trame identique à Alien et Prometheus : attiré par un message, l'équipage d'un vaisseau se rend sur une planète, y débarque, se fait contaminer par un alien et doit éliminer le xénomorphe les ayant quasiment exterminés. À l'instar de moult confrères, Scott paraît refaire le même film à l'envi ; mais ce n'est qu'un faux-semblant. Si d'aucuns révisent inlassablement leurs productions passées en les triturant par le numérique (restant de fait les prisonniers dorés de leur univers étendu), Scott remet à chaque épisode l'ouvrage sur le métier pour en approfondir les zones obscures. 

On s'extasie bien volontiers devant l'ingéniosité des showrunners de séries télévisées, capables d'imaginer des emboitements logiques pour légitimer les plus improbables ramifications découlant de leurs digressions ; les scénaristes de Covenant Michael Green, John Logan et Jack Paglen ne méritent pas moins d'admiration ni d'éloges. Leurs trouvailles donnent ici une réelle cohérence à la saga, en s'appuyant sur des préceptes biologiques indiscutables. Loin de banaliser l'étrangeté menaçante de l'alien et de ses multiples avatars (on découvre ici le néomorphe, dont la blancheur rappelle l'ogre du Labyrinthe de Pan), Covenant confirme son inclusion dans la normalité du vivant, et en renforce donc le caractère supérieurement terrifiant.

Il était une proie…

Dans Covenant, l'être humain se trouve de facto pris en étau entre deux entités évolutives mutant plus rapidement que lui : d'un côté la machine — au départ sa créature faisant sécession et abstraction des lois d'Asimov —, de l'autre l'alien, issu d'un génie génétique initialement extraterrestre. Deux espèces n'ayant pas d'intérêt à se détruire mutuellement, mais capable de sceller des pactes tacites pour décimer du Terrien.

Dans la première tétralogie, l'héroïne incarnée par Sigourney Weaver était une simple humaine ; aujourd'hui, c'est Michael Fassbender qui campe le personnage récurrent. Pivot dramatique, Janus de Covenant, il est surtout un androïde dans une série portant le nom d'un monstre anthropophage. Autrement dit, l'humanité tend à disparaître d'Alien. Scott revendique une noirceur plus prononcée, un pessimisme accru. Le fait est que le futur n'a jamais été aussi incertain, et l'intelligence collective jamais n'a paru autant artificielle. On peut se consoler en se disant que si les artistes jouent les Cassandre en imaginant des apocalypses, le pire finira par ne pas advenir…


Entretien avec Ridley Scott

Retour vers le futur avec Ridley Scott qui, bien qu'il figure désormais parmi les vétérans du cinéma mondial et ait été anobli par la Reine, n'a rien perdu de son mordant. Ni de son perfectionnisme.

Pourquoi ce titre,  Covenant (littéralement, “engagement”) ?
Ridley Scott
 : C'est comme une promesse, c'est un accord, une alliance. Le vaisseau Covenant part avec deux mille bonnes âmes pour coloniser une autre planète, où l'humanité pourrait vivre. Il y a un sous-texte clairement religieux : Billy Crudup dit qu'il n'a pas été choisi comme chef, parce qu'il avait en lui une foi trop forte. Un équipage n'est jamais composé au hasard ; les gens sont bien identifiés avant le départ : il y a de longs entretiens qui sont réalisés sur le plan psychologique, religieux… Les membres d'une mission astronautique, par exemple, vivent ensemble avant de partir pour savoir s'ils sont capables de se supporter sans s'entre-tuer au bout de deux jours.

En revenant à Alien, quels étaient pour vous l'enjeu principal et les pièges à éviter ?
Il y avait des question auxquelles la tétralogie n'avait pas répondu : quel était ce vaisseau, qui était ce pilote, était-ce un squelette ou bien un uniforme, et le plus important de tout, d'où venaient ces œufs, qui au contact des humains produisent des êtres horrifiques… À l'époque, j'étais très occupé par d'autres projets et puis je suis revenu à la Fox en disant qu'on pouvait ressusciter Alien et répondre à ces questions restées en suspens.

Quant au piège, c'était de me répéter. Un de mes amis dit : « L'art c'est comme un requin, il doit se déplacer tout le temps, sinon il meurt. » Quand je travaillais sur Blade Runner, chaque jour apportait une solution et soulevait une nouvelle question. Il fallait en permanence se remettre en question.

Quel genre d'esprit faut-il être pour avoir envie d'effrayer les gens ?
Moi ! (sourire) Mais en fait, quand j'ai fait le premier Alien, j'avais le sens des responsabilités, parce que la scène de la cuisine avec John Hurt était un peu en-dessous de ce que j'espérais. Elle n'était pas très bonne. Mais le film a eu beaucoup de succès, parce que les gens sont pervers. Le soir de la projection-test, comme je m'ennuyais, je suis sorti boire un verre. Quand je suis revenu voir le public, c'était au moment de la scène de l'œuf, et j'ai entendu quelqu'un crier : « Eh ! Ne regarde pas l'œuf ! » — évidemment l'idiot le regarde et ça lui saute à la figure. Les cris dans le public ! J'ai vu un homme retenir sa femme par terre tellement elle avait peur. Ça n'allait plus du tout ! (sourire satisfait)

L'avenir vous excite-t-il ou vous fait-il peur ?
Je suis curieux, parce que le futur apparaît terrible et merveilleux. Il semble que l'on prédise qu'en 2050, l'espérance de vie pourrait être infinie. Je ne suis pas sûr que ce soit de l'espérance…


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