Mariage dérangé

En marge de Nuits Sonores, se poursuivent au Marché Gare les festivités des 10 ans de Born Bad Records. Au menu, la transposition en live de l'un des disques les plus fous de ces derniers mois, témoignant de la rencontre au sommet (et dans le désert) entre les rockeurs arty-punk de Cheveu et la légende sahraoui Group Doueh.


Lorsque l'on parle d'improbables rencontres, on a coutume de parler de "mariage de la carpe et du lapin". Mais s'agissant du mariage dont il est question ici, non seulement l'expression ne suffit pas – les épousailles d'un poisson et d'un rongeur étant banales en comparaison – mais en plus il faudrait déjà pouvoir trouver carpe et lapin à l'image de Cheveu et Group Doueh. C'est dire le genre d'association à laquelle on a affaire ici.

D'un côté, Cheveu, apôtre du garage-punk viré pop joueuse émargeant chez Born Bad Records, ravissant à parts égales partisans de l'underground et branchés en tout genre. De l'autre, un groupe du Sahara occidental, mené par le guitariste Baamar "Doueh" Selmou et sa famille, spécialisé dans l'animation de bals à coups de traditionnels hassani maltraités en une sorte de transe rock, tellement fascinant que le label Sublime Frequencies a pris sur lui de le faire découvrir jusqu'outre Atlantique, provoquant chaque fois des lâchers de mâchoires. La rencontre n'allait pas de soi et a été pour le moins improvisée par quelques entremetteurs.

Monstre rock

On vous passe les détails mais voilà qu'un jour de début 2016, Cheveu se retrouve à Dakhla (Sahara occidental, donc) face-à-face avec le Group Doueh avec, en gros, une mission : ramener quelque chose de ce voyage. Si possible un disque. Ils ont dix jours.

Les uns et les autres ne se connaissent pas, ne partagent pas les mêmes références, le même mode de vie, ne parlent pas la même langue... Autant de réalités, qui – timing serré ajouté – ne leur laissent guère le temps de faire les présentations. C'est donc par la musique – et une consommation excessive de thé – que les deux groupes s'apprivoisent, se jaugent, se défient même, jusqu'à trouver dans une sorte de ping-pong musical qui porte à la transe, un terrain d'entente malgré tout accidenté baptisé Dakhla Sahara Session.

Car ici, point de fusion mais une friction qui ouvre un nouveau champ musical inédit sous nos latitudes – loin de la world music à la papa – et d'où jaillissent on ne sait trop comment des morceaux hypnotiques, entre chants traditionnels, improvisations (et même, pourrait-on dire, matchs d'improvisations) et bricolage punk.

Personne ne perd à aucun moment son identité mais les deux entités en construisent une propre, hybride et un peu folle. Réussissant l'exploit d'un mariage arrangé d'une déraison absolue qui accouche d'un monstre rock aux contours fascinants.