Rodin

Pour commémorer le centenaire de sa disparition, Jacques Doillon statufie Auguste Rodin dans ses œuvres. L'incandescence contenue de Vincent Lindon et le feu d'Izïa Higelin tempèrent heureusement une mise en scène par trop classique. En lice à Cannes 2017.


De 1880 à l'aube du XXe siècle, quelques particules de la vie d'Auguste Rodin : sa notoriété naissante, la passion fusionnelle vécue avec son élève et muse Camille Claudel, sa gloire parmi ses pairs émaillée de scandales artistiques, son caractère d'ursidé…

Malgré son titre lapidaire et globalisant, ce Rodin ne prétend pas reconstituer l'entièreté de l'existence du sculpteur sous des tombereaux de détails mimétiques. Aux antipodes de ces émollientes hagiographies du type Cézanne et moi, Doillon opte en effet pour une approche impressionniste, en pierre brute, évoquant la démarche de Pialat dans Van Gogh — le temps et l'obstination rapprochent par ailleurs les deux plasticiens, aux fortunes pourtant diamétralement opposées.

Buriné

Malgré cela, Doillon ne parvient pas à se défaire d'une forme de pesanteur académique et conformiste. Cinéaste du heurt, de la parole torrentielle, d'une vie surgissante et spontanée, il se trouve ici entravé sans doute par son choix d'un récit elliptique, privant son récit de possibilités de dialogues et d'éclats, mais aussi par l'époque considérée : le Rodin à l'œuvre qu'il saisit est un notable installé, révéré et vénéré, statufié de son vivant. Son caractère ayant déjà été forgé, les attaques dont il fait l'objet ou sa rupture avec Camille n'ont en apparence guère d'incidence sur sa trajectoire : il demeure pareil à un soleil calme, conscient de sa puissance dévorante, de son infaillibilité comme de sa future postérité. On frise d'ailleurs le surnaturel lorsqu'on mesure que les années n'ont aucune emprise sur lui. Certes, nul marqueur direct n'en marque la progression — exception faite de La Porte de l'Enfer, dont on suit la lente et incessante édification en fond d'atelier.

Grommelant et pétrissant la terre, le barbu buriné Lindon est comme de coutume habité par son rôle, laissant entrevoir le prédateur derrière l'artiste, le fauve sous la blouse. Belle idée que de lui avoir adjoint Izïa Higelin, dont l'irradiante énergie irrigue le film, du fait sans doute de sa présence pulsatile et de l'ardeur fragile du personnage qu'elle interprète. Une auguste apparition.

Rodin de Jacques Doillon (Fr, 1h59) avec Vincent Lindon, Izïa Higelin, Séverine Caneele…


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