Bruno Messina : « Berlioz était un punk ! »

Cela fait maintenant 24 ans que La Côte-Saint-André accueille un festival dédié au compositeur français Hector Berlioz (1803 – 1869). D'année en année, l'événement prend de l'ampleur, à tel point qu'il est aujourd'hui l'un des plus grands festivals de musique classique de la région. Pour Bruno Messina, son directeur artistique depuis 2009, un tel rassemblement est un hommage logique pour celui qui, de son temps, a toujours vu les choses en grand.


Grâce à vous, Berlioz est un véritable globe-trotter : après l'Italie en 2012 et l'Amérique en 2014, il se rend cette fois en Angleterre (le sous-titre de cette nouvelle édition est "Berlioz à Londres au temps des expositions universelles"). Pourquoi ce choix ?
Bruno Messina :
Berlioz était un vrai voyageur. Au XIXe siècle, il fut l'un des premiers compositeurs à connaître plus de succès à l'étranger qu'en France, et notamment en Angleterre.

Surtout, la musique classique peut tenir à l'écart les gens qui ne la connaissent pas. C'est donc plus facile d'amener le public à s'y intéresser en lui racontant une histoire, qui est celle de l'aventurier qu'était Berlioz. D'autant plus que Berlioz vouait un amour profond à l'Angleterre, un amour de cœur. Il découvrit Shakespeare à 24 ans, qui le fascina, et se découvrit en même temps une passion pour une actrice irlandaise, Harriet Smithson, qui sera le deuxième grand coup de foudre de sa vie et pour laquelle il écrira la Symphonie fantastique. C'est aussi cette histoire que l'on va raconter.

Son voyage au pays de Shakespeare a l'air de l'avoir beaucoup marqué. C'est ce que l'on voit sur l'affiche du festival, sur laquelle il arbore un look complètement punk !
Mais Berlioz en son temps était un punk ! C'est pour cela qu'on l'a représenté de cette façon sur l'affiche, un clin d'oeil à la pochette de l'album Anarchy in th U.K des Sex Pistols. Berlioz a véritablement rompu avec la musique de son époque en s'éloignant des académismes français.

On a parfois l'impression que les grands compositeurs étaient des gens très sages, qui mangeaient en levant le petit doigt, mais pas du tout. Berlioz était subversif, en permanence dans la provocation. On m'a fait le reproche de lui avoir mis du rouge à lèvres sur l'affiche et pourtant c'est lui qui, à un moment de sa vie, a envisagé de se travestir pour aller assassiner sa fiancée. L'idée n'est pas de moi en réalité !

Votre capacité à sortir Berlioz des clichés habituels témoigne d'une connaissance très personnelle de celui-ci. Comment arrivez-vous à dépasser l'image traditionnelle du compositeur ?
Je m'intéresse à Berlioz à partir de l'homme qu'il était. Pas uniquement le compositeur et les quelques lignes qui lui sont consacrées dans les dictionnaires. C'est en lisant la correspondance personnelle qu'il tenait avec un ami isérois, que j'ai découvert son désir de faire un « concert shakespearien ». C'est-à-dire un concert qui rassemblerait toutes les œuvres que Berlioz a écrites en rapport à Shakespeare. Ce rêve, qu'il n'a jamais pu concrétiser de son vivant, nous avons décidé de le réaliser cet été.

Est-ce qu'un festival aussi fourni, centré autour d'une seule personnalité, peut être accessible aux néophytes qui ne connaissent pas du tout Berlioz ?
On travaille pour cela en tout cas, et c'est une volonté partagée par le département de l'Isère qui nous soutient. Nous accueillons chaque année des gens issus de milieux totalement différents, qui ont en commun de ne pas avoir eu accès à Berlioz. J'ai vu ces dernières années des jeunes étudiants qui n'avaient sur lui que des a priori et à qui je dis : sachez que Berlioz n'était pas coincé, il était plus fou que vous, regardez la vie qu'il a eue ! Ou bien des agriculteurs à qui je dis : vous croyez que Berlioz c'est un autre monde ? Mais lui aussi a vécu des produits de sa ferme, pas de ses compositions ! Et en prenant les gens par la main, comme cela, je vous assure que je ne les ai jamais déçus.

L'un des éléments qui rendent ce festival si particulier, c'est son cadre : La Côte-Saint-André, dont Berlioz est natif. Comment vous êtes-vous approprié ce lieu ?
D'abord de façon anthropologique. Ayant une double formation de musicologue et d'ethnologue, je me suis demandé : quel était le contexte de Berlioz ? Qu'est-ce qu'on dansait à son époque ? Qu'est-ce qu'on mangeait ?  Afin de pouvoir le transmettre aux spectateurs.

Ensuite, le lieu n'étant pas destiné à accueillir des concerts, il a fallu faire des forces de nos difficultés. Ainsi, notre festival est peut-être le seul au monde où l'on peut venir écouter la pastorale de Beethoven [le festival ne programme pas que des œuvres de Berlioz – NDLR] et certains soirs, du haut des gradins, voir des vaches brouter sur la colliine de La Côte-Saint-André.

Festival Berlioz
À La Côte Saint-André du 18 août au 3 septembre


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