Couleurs, chaleur et revendications

Fervent défenseur d'un art chaleureux et engagé, le street art colombien est l'invité d'honneur du festival TrubLyon. L'occasion de se pencher sur des œuvres et des artistes nés d'une nouvelle scène dynamique, revendicatrice et fière de sa culture.


Longtemps considéré comme vandale, comme partout ailleurs, le street art colombien fait peau neuve. En quelques années, cet art est devenu l'un des attraits touristiques majeurs de Medellin et surtout de sa capitale Bogota. Il suffit de voir le nombre de touristes déambuler autour des fresques urbaines de la Candelaria, Teusaquillo, Barrio Santa Fe, Calle 26 ou Avenida El Dorado… Les graffs et pochoirs ont transformé la capitale colombienne en immense galerie à ciel ouvert, riche en couleurs et en œuvres d'une technique irréprochable.

Les jeunes artistes colombiens partagent une culture de la couleur naturelle, instinctive, aussi chaude que le climat, dans des compositions que les regards européens trouveraient sans doute kitsch voire criardes. Le street art transpire de ce que les Colombiens vivent au quotidien : chaleureux, il respire la positivité et la culture de l'alegria, la joie de vivre. S'il n'y a pas un seul street art colombien, il y a un graffiti typique, notamment à Bogota, très empreint de revendications, presque punk dans l'iconographie et l'imagerie : fusils tirant des cœurs au lieu de balles, le mot "paix" éclatant sur de nombreuses façades... En Colombie, le street art est partout et souvent inspiré par plus d'un demi-siècle d'une guerre fratricide, mais rêve aussi d'un pays enfin pacifié : le 15 août dernier, le président colombien Juan Manuel Santos assistait à un dernier dépôt d'armes des FARC, officialisant ainsi la fin du conflit avec les guérilleros.

« le seul fait de peindre dans la rue est un acte politique »

L'art urbain explose en Colombie depuis de nombreuses années déjà. Au point d'être promu dans certains lieux dédiés de la capitale par Gustavo Petro, l'ex maire de gauche (2012-2015) et ex guérillero du M-19 dissout en 1990. En prolongement de l'accord avec les FARC ratifié en décembre 2016, les créations des street artistes traduisent le criant espoir d'une majorité de colombiens : celui de voir enfin leur pays sortir d'une guerre complexe, ayant entraîné plus de 260 000 morts, 45 000 disparus et quelques 7 millions de déplacés. Toxicómano, jeune colombien connu pour ses peintures de visages aux lignes déstructurées, est persuadé que « le seul fait de peindre dans la rue est un acte politique » et qu'il se doit d'aborder « les thèmes importants » : il n'hésite pas à bomber des slogans engagés comme "No somos falsos, somos positivos", en référence au scandale des falsos positivos.

La Colombie sait surtout célébrer son héritage. Ainsi, la fresque intitulée El beso de los invisibles, plus grand témoignage street art de la ville, près du Centre International et réalisée par le collectif Vertigo, représente un portrait de Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel de littérature en 1982. Au détour d'une rue, on admire l'hommage à Jaime Garzon (assassiné en 1999) et aux victimes de l'Union Patriotique Hasta aquí las sonrisas, país de mierda, peint par Fonso, Sátiro, Rio et Ghore et plus tard restauré par le jeune collectif Bicromo.

La jeune génération de street artistes colombiens sait tirer profit de son héritage culturel, en continuant de délivrer des productions revendicatrices et chaleureuses. C'est ce que résume parfaitement Cart'1, artiste français, organisateur de nombreux événements street art et directeur du festival TrubLyon, qui ne cesse de tisser des liens entre France et Colombie :

« En 2012, quand je m'y suis installé, j'ai découvert une jeune scène dynamique, encore aux balbutiements dans les villes où j'étais. En allant peindre avec ces jeunes locaux, j'ai fait connaissance avec cette scène joyeuse, soudée, et immensément ouverte qui contribue à faire de la Colombie un paradis du street art. »


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