Du fluide pour la Biennale

Cette Biennale d'Art Contemporain concoctée par Emma Lavigne, ouverte à la musique, au mouvement et à la fluidité des formes s'annonce très attrayante.


« La modernité est un combat. Sans cesse recommençant. Parce qu'elle est un état naissant, indéfiniment naissant, du sujet, de son histoire, de son sens. Elle ne cesse de laisser derrière elle les Assis de la pensée, ceux dont les idées sont arrêtées, et qui confondent leur ancienne jeunesse avec le vieillissement du monde. La modernité côtoie ce cimetière des concepts fossiles dont nous sommes encombrés. Et qui rendent sourds. Sourds à ce qui vient. »

écrit Henri Meschonnic, dans Modernité Modernité.

Pour nous déboucher les oreilles, et pour le deuxième volet consacré à la modernité des Biennales d'Art Contemporain, Emma Lavigne, commissaire invitée par Thierry Raspail, a choisi d'ouvrir les arts plastiques aux flux, à la musique, au mouvement : 

« j'ai souhaité arrimer la Biennale au cœur de la ville, dont l'identité s'est en partie façonnée par l'omniprésence de l'eau, dans cette ville née des eaux, traversée par le Rhône et la Saône, en réactivant l'imaginaire dont ce fleuve et son affluent, par leur présence à la fois familière et mystérieuse, sont porteurs. » 

Principalement au Musée d'Art Contemporain et à La Sucrière, les Mondes flottants (titre de la Biennale) se déclineront en six îlots thématiques : Flux et reflux, Ocean of sounds, Corps électriques, Archipel de la sensation...

If music be the food of love, play on

Historienne de l'art, Emma Lavigne devient conservatrice à la Cité de la Musique à Paris en 2000. Là, elle organise des expositions marquantes : John Lennon, Jimi Hendrix, Pink Floyd, György Ligeti... Elle continue de marier avec brio musique, son, art et danse au Centre Pompidou à Paris dès 2008 (on se souvient de la belle exposition Danser sa vie), avant de prendre la tête du Centre Pompidou Metz en 2015, organisant notamment l'expo Warhol Underground. Sans cesse, Emma Lavigne tente de « faire bouger les frontières entre les formes d'art » et se demande « comment une forme se transforme ? » 

Invitée à Lyon pour réfléchir à la notion complexe de modernité, elle a opté pour une conception proche de celle du sociologue Zygmunt Bauman et de son idée de modernité liquide : ces flux et cette vitesse qui, tout à la fois, connectent et disjoignent les gens entre eux. Notion ô combien ambivalente, et placée pour Emma Lavigne sous les figures de Mallarmé, Umberto Eco, Luciano Berio et James Joyce.

Playlist

Chaque îlot de la Biennale sera introduit par une ou plusieurs œuvres d'art moderne (Alexander Calder, Lucio Fontana, Hans Haacke...) et se déploiera ensuite à travers les productions plus contemporaines d'une soixantaine d'artistes invités. Parmi ses derniers, on notera la réactivation de plusieurs œuvres ou performances de l'artiste d'avant-garde brésilienne Lygia Pape (1927-2004), la présence du cinéaste et plasticien thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, du jeune artiste aux collages d'objets poétiques Julien Creuzet, du pianiste et compositeur américain David Tudor, de la plasticienne et musicienne Laurie Anderson...

Cette Biennale s'annonce ainsi sous de forts bons auspices, ne négligeant ni les enjeux théoriques ni les aspects sensoriels et affectifs des arts plastiques, et se traduisant beaucoup par des installations pluridisciplinaires et des environnements où le son a une grande importance. Sans oublier des singularités que nous avons hâte de découvrir, comme l'œuvre polymorphe de Cerith Wyn Evans qui s'est associé avec le groupe vintage de musique industrielle Throbbing Gristle pour revisiter les mobiles de Calder et donner forme à une polyphonie électrique en suspension nommée A=P=P=A=R=I=T=I=O=N (2008), en hommage à Mallarmé.

14e Biennale d'Art Contemporain de Lyon, Mondes flottants
En divers lieux du 20 septembre au 7 janvier 2018


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