Un cocon pour concerts

Il fallait un écrin pour les voix et les arrangements de Cocoon, Keren Ann et Rover. La Chapelle de la Trinité est indissociable de la délicatesse de ces concerts à venir. Découverte de ce lieu atypique dédié au baroque, classé monument historique depuis 1939.


Elle est passée par la Scala de Milan, le Carnegie Hall de New York et pourtant à Lyon, c'est à la Chapelle de la Trinité qu'elle a demandé à pouvoir chanter. Cécilia Bartoli était là le 18 juin dernier pour un récital avec son ami, habitué du lieu, le contre-ténor Philippe Jaroussky. Excusez du peu ! L'acoustique y est impeccable, l'intimité garantie et le décorum impressionnant.

En arpentant la salle et ses coursives, Éric Desnoues, directeur artistique qui en a les clés depuis 1999, déroule cette histoire intrinsèque à la ville de Lyon puisque c'est elle qui en 1617 fait sortir de terre cet édifice, destiné à consolider la démarche d'enseignement entreprise plus tôt par des artisans et des commerçants lyonnais du XIIIe siècle qui cherchaient alors à créer une confrérie pour s'entraider, afin de lutter contre les aléas de la vie (maladie, manque d'argent...).

C'est ainsi qu'est créé le Grand Collège de la Trinité (actuellement le lycée) avec sa chapelle comprenant dix petites chapelles latérales. Lyon, cette ville alors sans université, est dotée d'un haut lieu de l'enseignement assuré par les jésuites. La Trinité sera jusqu'à la Révolution un point cardinal de la vie sociale et intellectuelle : c'est ici que démarre le fond de l'actuelle Bibliothèque Municipale de la Part-Dieu. De cette époque subsistent d'étonnants tags sur les rambardes en marbre de Carrare : Laporte, Meynier, Lavrore, Perrin... sont passés par ici en 1735, 1727... et ces élèves peu disciplinés y ont gravé leur noms !

Hormis lors de la proclamation de la première République italienne en 1802 par Napoléon, comme le prouve la reproduction d'un tableau visible à gauche de la porte principale, la chapelle tombe en désuétude dès la Révolution. Le lycée change de statut et prend le nom de Ampère fin XIXe parce que le savant - dont une partie du matériel est toujours gardée ici – y fut professeur. Durant la Seconde Guerre mondiale, la chapelle servira même d'entrepôt pour les métaux ou la nourriture et, dans les années 50, elle fut la salle de gym des lycéens qui aujourd'hui ont cours d'EPS juste au-dessus du plafond, et cours d'arts plastique un étage plus-haut encore !

Le plus vieux théâtre de Lyon

Propriété de la ville de Lyon, cette chapelle est fermée dans les années 80, et restaurée durant dix ans la décennie suivante pour la somme de 45 millions de francs ! C'est alors qu'Éric Desnoues, pianiste, et déjà instigateur du festival de musique baroque de Lyon, demande à pouvoir la gérer sans subvention autre que la petite déjà allouée à sa manifestation : une aubaine pour Denis Trouxe, l'adjoint à la Culture de Raymond Barre, déjà très engagé sur le projet des Subsistances.

Depuis dix-huit ans, le pianiste de formation programme donc ici de Grands concerts avec un financement à 84% privé. Tout est à sa charge (matériel, entretien, personnel...), sauf la sécurité incendie. Dans « [son] théâtre » comme il le dit avec affection, il fait revivre la musique qui a là toujours trouvé une place depuis 1623, avec notamment la musique sacrée de concert à l'époque des jésuites.

Très rigoureux quant à la cohésion de la programmation par rapport à cette « perle baroque de l'architecture lyonnaise », Éric Desnoues est attentif à la notion de cocon comme il le dit sans jeu de mot, comprenant alors que Cocoon ne pouvait que passer par là ! 500 spectateurs peuvent prendre place dans cet espace moins vaste que bien d'autres salles lyonnaises, offrant alors une proximité peu commune avec les artistes, une sorte de communion dans cette chapelle désacralisée dans laquelle il prend soin de ne pas faire monter trop haut les décibels tout en ne restant pas arque-bouté sur la musique baroque et classique - le son répétitif et minimaliste de Philip Glass y trouvera bientôt sa place aussi.

Des passerelles entre les publics des Grands Concerts et du Petit Bulletin Festival se feront d'autant plus facilement dit-il, que :

« les musiciens baroqueux sont des musiciens chercheurs, ils ne sont pas enfermés dans une esthétique ; le public du baroque est souvent plus jeune que celui du classique, ce sont les héritiers de Mai 68 ! »

analyse-t-il. Cette recherche d'expérience sensorielle est partagée avec celle d'un public plus pop et chanson française. Quand Piers Faccini a lâché son micro pour tester l'acoustique, lors d'un précédent concert, il est entré au contact de Rameau ou de Jean-Marie Leclair qui l'avaient précédé dans cette salle. Depuis quatre siècles, les artistes se font écho,  comme les peintres et sculpteurs : quatre toiles de Pierre David représentant des rescapés de récents conflits font écho aux quatre statues de saints jésuites.


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