Bleu nuit et brouillard

C'est dans un bain de sonorités 80's que Taylor Kirk et Timber Timbre reviennent nous hanter avec leur perpétuel mais versatile vague à l'âme. Pour un résultat aussi noir que fascinant.


Bleu Nuit, en français dans le texte, c'est le titre du pénultième titre de Sincerely, Future Pollution, dernier album de Timber Timbre. Et c'est bien cette nuance de couleur qui habite en profondeur ce disque autant qu'elle symbolise le blues dont Taylor Kirk ne s'est jamais vraiment départi, quelles qu'aient été les orientations esthétiques de Timber Timbre.

Car Taylor Kirk reste un crooner, un bluesman à la voix d'encre dont il ne cesse de tester les dispositions sur l'ensemble du spectre musical comme s'il passait en revue les décennies : 50's sur Timbre Timbre, folk 60's sur Creep on, Creepin' On, 70's sur Hot Dreams. Ici, celui qui dit avoir toujours détesté les années 80 (comprendre : la musique de cette époque) fait pourtant ses ablutions au milieu des nappes de synthés et des boîtes à rythme.

Peut-être parce que le Capitaine Kirk a laissé bien davantage de latitude à ses compères Trottier et Charbonneau. Peut-être parce qu'il s'agit d'une suite logique après l'exploration des précédentes décennies. Peut-être parce que l'esthétique 80 est revenue nous imprégner par tous les pores et que l'on adore la détester. Peut-être enfin parce que l'avènement de Donald Trump (à laquelle le titre Western Questions fait écho) a quelque chose d'une réminiscence des années Reagan en pire (on jurerait que le titre de l'album est tendu comme un miroir au plus grand des climato-sceptiques).

Cathédrales flottantes

Et que cet avènement donne l'impression d'avancer dans la nuit autant que cet album aux compositions magnifiques, "cathédrales flottantes" sensuelles et effrayantes (la basse et les riffs du titre Sincerely, Future Pollution), infiniment cinématographiques, que l'on songe à Drive, Fog ou aux films de Wim Wenders ou Lynch (le riff twinpeaksien de Floating Cathedral), autour desquelles vient s'enrouler comme un serpent la voix de Kirk, enfant de Roy Orbison, Screamin' Jay Hawkins, du Nick Cave des mauvais jours et même de David Bowie (Grifting et sa basse façon Fame).

Si ce disque montre quelque chose, c'est bien la capacité de Timber Timbre a perpétuer son identité tout en changeant de forme, à construire chacun de ses albums contre le précédent, mais tout contre (quelque part Sincerely... est un peu le continuateur de Hot Dreams par d'autres moyens, son héritier mutant). Et cela, c'est bien la seule voix de Taylor Kirk, ce timbre insensé et transformiste qui, à force d'explorer les époques disque après disque, finit par figurer un repère intemporel. Face sombre du mouvement perpétuel d'un phare éclairant par intermittence une nuit noire de l'âme en forme de brouillard de pollution.

Timber Timbre
À l'Épicerie Moderne le samedi 7 octobre


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