Une virée dans les maquis africains

Ils s'appellent Le Cristal, Le Coq Rouge, Chez Magie, La Maison Blanche ou encore Le Doyen. Tous situés entre la Guillotière et l'avenue Jean Jaurès, ces restaurants sont des points de rencontre des communautés d'Afrique de l'Ouest et permettent de (re)vivre l'Afrique ensemble que l'on y soit né, qu'on y ait voyagé… ou non. Bienvenue dans les maquis.


« Les maquis sont les royaumes de l'improvisation » me lâche Charles, un quadragénaire d'origine ivoirienne habitué des lieux. La nuit est tombée depuis deux heures, en ce samedi soir : dans les rues du nord du 7e arrondissement se dessine un circuit particulier entre les restaurants africains. On passe de l'un à l'autre,  pour rejoindre ses amis ou faire la bise aux patron-nes. Les familles se retrouvent autour d'un repas copieux, les noctambules passent boire un verre avant de s'éclipser dans les clubs du centre...

Il y a vingt ans, les quartiers de la Guillotière et de Saxe-Gambetta ont vu naître des bars et restaurants où la discrétion était le mot d'ordre. Au fond des salons de coiffure afro, dans les arrière-boutiques des épiceries,  dans des appartements, des Ivoiriens, Camerounais, Sénégalais cuisinaient les plats de leur enfance. Mafé, poulet yassa, alloco et autres viandes et poissons grillés remplissaient les estomacs de toute une diaspora. Ces restaurants, autrefois clandestins, sont parvenus à accéder aux pas-de-porte du 7e aux côtés des communautés asiatiques et maghrébines, déjà installées dans le quartier. 

En poussant la porte de Chez Magie, maquis réputé, nos cinq sens sont dynamités. L'odeur de pintade braisée vient chatouiller nos papilles. Le volume sonore est à son maximum. Musique et rires nourrissent cette convivialité propre à tous les maquis. Ce soir, nous sommes venus déguster le petit feu de la patronne, un mélange de rhum, cannelle, miel, citron et gingembre. Un truc costaud qui nous met instantanément dans l'ambiance avec cette impression d'être dans le salon de Magie. « Bienvenue chez moi » nous lance-t-elle dans un large sourire. Aux murs sont accrochés deux écrans où l'on diffuse Trace TV Africa pour profiter de la musique.

Pas de pression

Dans la plupart des maquis, on retrouve ce mélange de codes, à mi-chemin entre restaurant, bar et salon privé. Accoudée au bar, les rencontres se font quasi instantanément. André déplore un certain communautarisme dans le quartier de Saxe, « c'est dommage qu'on ne puisse pas manger ivoirien, camerounais et béninois au même endroit. Moi, je veux pouvoir réunir mes amis de toutes les communautés. »  Heureusement, la clientèle se mélange peu à peu. Et même ceux qui n'ont jamais mis un pied en Afrique de l'Ouest sont curieux de ses plats traditionnels. Selon Charles,  « les gens voyagent de plus en plus, et quand ils veulent manger les plats qu'ils ont goûtés au Sénégal, ils viennent les faire découvrir à leurs amis. »  

Le dimanche soir, les maquis vivent à l'heure des matchs de foot. Charles m'emmène au Coq Rouge, un restaurant taille miniature où l'on mange en gardant un œil sur l'écran plat, tout en discutant politique avec son voisin de tablée. De grandes bouteilles de bière trônent sur toutes les tables « dans les maquis, il n'y a pas de bière pression, me dit le gérant,  comme au pays. » Le menu varie selon l'humeur du chef. Ce soir, nous goûtons des côtes de porc persillées accompagnées de bananes plantain. Samedi prochain, nous irons manger le poulet yassa de Chez Magie, tout en lui apportant notre article : on lui a promis. 

En Afrique de l'Ouest, les maquis sont des restaurants populaires et conviviaux, les prix y sont abordables. Ces lieux flirtent parfois avec l'illégalité. À Lyon ou à Paris, les codes de la restauration française sont respectés : tous possèdent une licence IV ou V, mais la spontanéité demeure, « on peut attendre 30 minutes, comme deux heures avant d'être servi. Il arrive que le resto soit fermé très tôt, ou reste ouvert très tard... C'est l'impro totale ! » conclut Charles.

Chez Magie
19 rue Creuze, Lyon 7
Pntade braisée ou grillée,  poulet yassa, mafé de 15€ à 18€

Le Coq Rouge
280 rue de Créqui, Lyon 7
Viandes et poissons entiers grillés, queue de boeuf de 12 à 18€


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