Débroussailler les chants


« Lautréamont Les Chants de Maldoror / Tu n'aimes pas moi j'adore », tentait de chanter avec sa voix accidentée Jane Birkin dans l'ultime album studio que Gainsbourg lui écrivait en 1990. Un leitmotiv basique pour ce Et quand bien même sublime, forcément sublime. Michel Raskine s'élève heureusement au-dessus de ces paroles,  démontrant qu'avec ce texte ardu (on aurait facilement tendance à le repousser), il y a tout de même une matière à théâtre et à jeu, notamment parce que Mervyn, un adolescent énigmatique, se lance dans une chevauchée nocturne.

Et d'emblée, plutôt que nous relater les cinq chants précédents, le metteur en scène s'attache à nous donner une clé d'entrée à ce récit opaque avec la fameuse phrase du début de ce 6e chant qui inspira tant les surréalistes : « la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie », qui définit ici la beauté du jeune Mervyn, « 16 ans et 4 mois », auquel Maldoror, « ce sauvage civilisé », écrit.

Jeu de poupées russes entre la personnalité de Lautréamont lui-même qui rédige cela à 23 ans (juste avant de décéder), son narrateur et ses interlocuteurs. Pour faire résonner autant de voix intérieures, les comédiens ne sont pas trop de trois à amener des variations sur ces personnalités jouant de leur trouble, de leur machiavélisme et de leurs sulfureux désirs. Thomas Rortais, impeccable quelque soit son registre de jeu au fil de ses rôles (Quartett, Le Triomphe de l'amour sous la direction de Michel Raskine déjà, Tailleur pour dames dirigé par Louise Vignaud...), emmène fréquemment ce Mervyn vers une fureur qui, sitôt déclenchée, est compressée.

Ce flux et reflux de verve accentue le caractère instable du personnage ; ses deux autres acolytes y apportant plus de timidité et de pesanteur. Au gré de cartes, le cheminement se fait entre place Vendôme et Panthéon, un parcours sombre qui mérite qu'on prenne la peine de suivre cette rampe que propose, en bon guide, l'ancien directeur du Théâtre du Point du Jour.

Maldoror/Chant 6
Aux Subsistances jusqu'au 14 octobre


<< article précédent
[Hullu] au TNG : l'acteur et son double