Ivre libre

Irrésistible petite frappe trop gueule d'ange pour être honnête, Romain Pinsolle mêle poésie baudelairienne et je-m'en-foutisme bashungo-gainsbourgien au service d'une chanson-rock en français aussi addictive qu'assassine.


« Ma femme est morte, je suis libre ! » Voilà par quels mots terribles débute l'album de Romain Pinsolle. Mots que les amateurs de poésie décadente (ou de poésie tout court) sentiront sans doute résonner à travers la gueule de bois comme un air de déjà-entendu. Chez Baudelaire, l'ancien chanteur du groupe Hangar adaptant en ouverture de son album un poème extrait des Fleurs du Mal : Le vin de l'assassin. Une chose déjà faite en son temps, dans une approche toute autre, par Léo Ferré, interprète gourmand du grand poète français.

L'histoire donc, d'un type qui assassine sa femme pour pouvoir continuer à boire tout son soûl et dormir comme un chien à même le sol, que Pinsolle fait sonner comme un hymne rock. Il pourrait s'en tenir à cette formule d'une redoutable efficacité. Ce serait trop facile. Si le « vin de l'assassin » vient dégouliner sur tout l'album auquel il donne son titre, c'est peut-être davantage par ce que d'aucuns appellent la stratégie du ruissellement, tant le reste de l'œuvre à venir est vénéneux par infusion.

Gueule d'ange

À la frontalité, Pinsolle préfère la classe un peu flemmarde des loulous aristocrates, mâchonnant ses paroles en crooner gommeux, (grande) gueule d'ange toxique post-Bashung (mais pré-Fantaisie militaire), comme il en pousse un peu partout dans la nouvelle génération (Radio Elvis, Adieu Gary Cooper, Feu ! Chatterton).

On en tient un bel exemple avec La pluie, belle errance humide : « J'implore l'orage tous les jours / J'écris à la mort, à l'amour / J'ai appris la haine, j'implore tes pluies diluviennes / T'es tombée sur moi comme une goutte de pluie / T'as glissé sur mes bras, t'as fini dans mon lit. » Le reste (Léonita, Gueule d'ange, Les Joues creuses) convoque bien évidemment Gainsbourg, le type ayant un sens certain du gimmick qui colle à la cervelle ; une voix, rappelant parfois Chamfort, autour de laquelle on pourrait volontiers se lover (n'était cette certitude que c'est dangereux) ; et ce qu'il reste aussi de rock 80's (le quasi-disco Les pales).

Du rock tout court même lorsqu'il interroge le genre – ce qui semble l'amuser le plus dans cette carrière de vrai-faux rocker jouant avec les codes – sur le codéiné Les joues creuses, métaphore possible d'une décadence rock qui vient littéralement mourir à nos pieds : « Pourquoi une musique si nerveuse ? D'où tiens-tu, d'où tiens-tu des joues si creuses ? ». La décadence on y revient, on ne s'en sort pas.

Romain Pinsolle
Au Ninkasi Gerland le mardi 14 novembre


<< article précédent
Ils sont (aussi) nés il y a 20 ans