Hard Power

Après la claque du premier album, le gospelcore d'Algiers, mélange de soul, de punk et d'indus, revient frapper un grand coup avec The Underside of Power, qui déchiquète les entrailles du pouvoir et du rock.


Deux ans après son album éponyme, qui lui valut une entrée fracassante sur la scène rock à coups d'hymnes protestataires frictionnant les oreilles de la soul et du gospel à coups de viriles caresses punk, Algiers a remis le couvert en cette année avec un second album déchirant, au sens propre.

En s'ouvrant sur un sample d'un discours de Fred Hampton, militant des Black Panthers assassiné dans son sommeil par un raid du FBI en 1969, The Underside of Power, soit "les dessous du pouvoir", poursuit ainsi en force le propos politique du trio d'Atlanta devenu quatuor, porté par la voix de Franklin James Fisher, grande voix hurleuse de soulman à la Levi Stubb comme élevée aux pulsions sidérurgiques d'un MC5 et marque de fabrique du groupe.

Une hybridation soul-punk, une mutation, une révolution permanente particulièrement marquantes sur le morceau titre et sur Cry of the Martyrs, tranche de soul qui aurait été enregistrée au milieu du bruit assourdissant d'une usine. Un peu comme si l'on avait déplacé l'émission Soul Train dans une forge pour faire danser le public jusqu'à épuisement, façon On achève bien les chevaux-moteurs. La soul, ce qu'il y a de plus organique et spirituel dans la musique, et l'indus, ce qu'elle a de plus désincarné, voilà les Charybde et Scylla qui se chamaillent ici à la porte d'un studio tenu par Adrian Utley (Portishead) et chargé d'acérer les dents des deux créatures – non sans réussite.

Côté obscur

C'est qu'il s'agit ici de mordre dans l'actualité ou dans l'histoire, de fouiller les dessous, le côté obscur du pouvoir comme on retourne des entrailles en espérant lire dedans. Et pas le soft-power dont on nous rebat les oreilles : on parle ici des Black Panthers donc, de Trump, du mouvement Black Lives Matter ou encore de l'État Islamique. Le tout dans une atmosphère d'apocalypse sous toutes ses formes et tous ses fonds (Plague Years inspiré de Camus, Death March, The Cycle/The Spiral).

Si elle est souvent magnifique et hypnotique, la démarche musicale de ce gospelcore, qui convoque à la fois le label Stax, Depeche Mode, Bloc Party (dont le batteur a d'ailleurs rejoint Algiers), Suicide, John Carpenter, David Lynch, peut paraître radicale et épuisante, dans sa frontalité et dans son abstraction – les deux faces de la pièce Algiers – comme dans la manière dont la production de The Underside nous avale, jusqu'à donner l'impression du débordement.

Mais elle est simplement le reflet de toutes les avanies que le monde a dû endurer entre la sortie du premier album d'Algiers et celui-ci. De leur violence et de leur rapidité. Et du sentiment d'urgence qui en découle et qui s'exprime ici comme un trop plein.

Algiers
Au Marché Gare le jeudi 16 novembre


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