Quand la peur monte

Le propos est inattaquable et jamais trop entendu (l'Europe rétrécie et frileuse), les acteurs impeccables, le duo Richter/Nordey parfaitement complémentaire. Mais d'où vient alors cette impression que cela sonne un peu faux ?


On ne s'en lasse pas : remettre Fassbinder au centre du jeu. Mort à 37 ans en 1982 en laissant une quarantaine de films, une vingtaine de pièces de théâtre, une série télé au long cours (ah ce Berlin Alexanderplatz !), il est des artistes qui manquent cruellement aujourd'hui.

Alors Nordey, qui a trouvé avec Falk Richter un alter ego, joue à le replacer au centre du jeu, la question du genre directement abordée. Il est un Rainer/Stan face à sa mère/Laurent Sauvage reprenant la séquence incluse dans L'Allemagne en automne. Et déjà la question de l'accueil des migrants crée des engueulades : « tu ne peux pas juste les mettre dehors comme ça, ils sont censés aller où ? / Là d'où ils sont venus. / Là-bas il y a la guerre. Il n'y a rien, tout est détruit. / Alors ils doivent reconstruire leur pays. / Mais comment ? En pleine guerre / Je m'en fous ».

Cologne est passée par là, la peur de certains Allemands se heurte au généreux « Wir schaffen das » (nous le pouvons) d'une Merkel soudain plus Ossies que CDU. Et Richter convoque l'Europe dans ce spectacle créé en mars 2016 au TNS (Strasbourg) qu'il dirige.

Entre-temps, il aura livré un bien-nommé Fear à Berlin, plus nerveux encore, provoquant les attaques de Pegida et de l'AfD, ce parti d'extrême-droite qui a fait une entrée tonitruante au Reichstag en septembre.

Querelle

Face spectateur, la troupe navigue autour du réalisateur des Larmes amères de Petra von Kant, dont des émanations inondent à bon escient la scène pour qu'il ne vire pas qu'à la restitution des maux du monde. Richter et Nordey ont la bonne idée de se moquer d'eux-mêmes (« ce n'est pas une pièce / Ça là, c'est la vie ») et de montrer une Judith Henry incarnant l'Europe demander « enfin un texte ». Le duo est infiniment malin, sait insuffler de l'auto-dérision au moment où l'amoncellement devient quasi indigeste. Dans ce constant maillage entre vie privée et publique, où les amours comme le politique naviguent à vue, tout se passe comme sur un plateau de cinéma lissé, encombré d'icônes (Fassbinder et ses actrices). C'est d'une beauté imparable, mais presque trop.

Toutes les cases de la hype semblent cochées (robe de diva, musique de drone en fond comprise) pour livrer un produit parfaitement marketé. Pourtant, passé ces gênes, il faut au moins reconnaître à ce Je suis Fassbinder une certaine décadence qui avait manqué ces derniers mois au TNP.

Je suis Fassbinder
Au TNP jusqu'au 24 novembre


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