L'œil du tigre aux Clochards Célestes

Ils ne sont pas si nombreux les spectacles ayant au cœur de leur propos des sportifs. Le K.O. d'Ali réunit Foreman, Ali et Noah dans un flow entêtant.


Combien de fois nous nous sommes dit qu'un match – et a fortiori la destinée d'un grand sportif – n'avait rien à envier aux tragédies grecques ? Alexis Jebeile est allé chercher du côté de la boxe alors que, comme le raconte son narrateur en préambule, c'est la victoire de Noah à Roland Garros qui a scellé sa première émancipation d'avec son père. À son padre, la passion pour Mohamed Ali, pour lui le gosse, celle pour Foreman. En filigrane, toute une pléiade de sportifs noirs (entendre les noms de Cathy Freeman, Jesse Owens, Gebreselassie, Carl Lewis sur un plateau de théâtre !) sont au rendez-vous de cette quête d'identité qui passe précisément par Foreman, ce descendant d'esclaves dont le nom signifie "contremaître".

Battu par Ali dans un match iconique de l'histoire du sport à Kinshasa, Foreman ne s'en remettra pas et épousera le métier de pasteur. Mais il remettra les gants pour financer son centre pour défavorisés et gagnera, à 45 ans, l'ingagnable lutte au dixième round contre son jeune adversaire Michael Moorer, vainqueur des neuf premiers. Ces morceaux d'anthologies, maintes fois lus sous les grandes plumes de L'Équipe dédiées à la boxe qui est, avec le vélo, le plus prolo de tous les sports, trouvent sur cette scène une nouvelle dimension.

Le poing levé

De ce casting hétéroclite faisant se croiser des moments de spectacles épatants (Jebeile fut l'un des acteurs de la plus belle pièce de Nino D'Introna, Terre !, et le metteur en scène Stéphane Daublain a coaché Mr Fraize lors de ses passages télé), émerge des récits échevelés, des commentaires de match face à un micro vintage descendu des cintres, dignes d'un Saccomano qui aurait tourné casaque et ne regarderait plus le foot.

Slam, rap, silence aussi parfois : Jebeile, dans un improbable costume de soirée, épouse le rythme donné par sa complice, l'indispensable Elvire Jouve, à la batterie. Cet instrument accompagne ou devance les uppercuts quand il ne les adoucit pas. Sans mimétisme inutile, tous deux trouvent une distance bienvenue pour faire que la légende Foreman se perpétue. Sait-il seulement, là-bas dans son Texas natal, que de jeunes frenchies dans cet autre ring qu'est le théâtre, le font briller encore ?

Le K.O. d'Ali
Aux Clochards célestes jusqu'au 25 novembre


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