Pas de bataille pour Hernani

On croit connaître la recette du théâtre permanent jusqu'à plus soif. Avec Hernani, on en redécouvre le (bon) goût. Gwenaël Morin pousse toujours plus loin l'ascèse mais y trouve une âme.


C'est au départ une contrainte et c'est in fine une grande liberté. De quoi s'agit-il ? De ces codes du théâtre et des rituels qui pavent la démarche même de s'y rendre. Sans réservation et sans paiement, il est tentant d'y renoncer même au tout dernier moment. Dénudée de ses fauteuils (!), la salle se présente simplement avec ses marches moquettées sur lesquelles le public est invité à se poser avec quelques gros coussins mis à disposition.

Aride, déconcertant : la mise en condition est perturbante, limite agaçante. Comme d'habitude, la lumière plein feu embarque spectateurs et acteurs dans un même espace. Rien n'empêche donc de consulter éventuellement son portable ou de lire le déroulé de la pièce – à disposition à l'entrée - comme la plupart des vingt personnes présentes ce soir-là. Cette absence d'impératifs est peut-être bien la meilleure façon de se laisser happer et d'être concerné.

« Je me nomme Hernani (…) c'est un nom de banni »

En face, la troupe est de haut niveau et les rôles distribués, sans que le critère du genre n'entre en compte, sont magnifiquement portés par notamment un quatuor de fidèles, dont Barbara Jung et Florence Girardon. La pièce de Victor Hugo dont le nom est bien plus célèbre que son intrigue (Hernani triomphant, en vivant son amour avec Dona Sol, de celui qui a usurpé le titre de roi d'Espagne) est avant tout une somptueuse langue jamais ici écorchée mais rythmée avec intelligence. Rien ne l'encombre. Pour autant, rien ne manque : un rideau dans un coin est une porte du palais, une série de photocopies couleur collées sur des cartons alignés au sol sera la galerie des portraits de la famille De Silva.

Si ce n'est les extravagantes combis fluo des femmes traversant le 5e acte, les simples capes ou robes suffisent à donner la teneur des personnages. Bien sûr, il ne faudrait pas que tous les créateurs de théâtre se glissent dans ce dénuement, de même qu'il est souhaitable qu'un directeur ouvre plus son théâtre aux autres compagnies. Nous l'avons déjà dit. Il n'en demeure pas moins qu'il se passe une expérience assez unique dans ce lieu-là, qui n'a pas toujours fonctionné (Andromaque) mais qui cette fois trouve sa raison d'être. Et qui s'achèvera, après une parenthèse Philippe Quesne de janvier à avril, cet été avec Les Tragédies de Juillet.

Hernani
Au Point du Jour du mardi au samedi à 20h jusqu'au 24 décembre


<< article précédent
On ne lâche iran ! : "Un homme intègre"