Crème de Poirot à la neige : "Le Crime de l'Orient-Express"

Les plus fameuses bacchantes de la littérature policière sont de retour sur Kenneth Branagh, nouvel avatar d'Hercule Poirot dans une version dynamisée du classique d'Agatha Christie. S'il n'efface pas celui de Lumet, ce "whodunit all-star game" est promesse d'une jolie série…


Kenneth Branagh n'a jamais manqué de panache. Las, le Britannique a eu l'exquise malchance de partager avec ses trop illustres devanciers Welles et Olivier un goût structurant pour Shakespeare. De l'avoir défendu avec ferveur sur les planches et de s'être jeté dans plusieurs de ces adaptations ambitieuses qui, à moins d'un engouement aussi inespéré que soudain pour le théâtre élisabéthain, attisent la méfiance des studios comme du grand public. Toutefois, parce qu'il est à l'instar d'Orson et Laurence un comédien éclectique prenant du plaisir à (tout) jouer, le cinéaste n'a jamais été mis au ban du métier. Il s'est même refait du crédit auprès des financeurs en signant du blockbuster pour Paramount et Disney. Envisageait-il déjà de redonner jeunesse et visage neufs au héros iconique d'Agatha Christie ? Le revoici en position de force à sa place favorite : des deux côtés de la caméra, en route pour une potentielle franchise.

Son Poirot embarque ici in extremis à bord du train de luxe pour un trajet agité : son wagon va se trouver immobilisé et il aura à résoudre le meurtre d'un antipathique passager, que tous les autres voyageurs auraient pu désirer éliminer…

Hercule agile

L'ombre du Crime de l'Orient-Express de Sidney Lumet (1974), adoubé jadis par l'autrice elle-même, plane en permanence sur ce film — comment pourrait-il en être autrement dans un huis clos ? Branagh distribue aux vedettes d'aujourd'hui les rôles autrefois échus aux stars d'antan : Pfeiffer succède à Bacall, Cruz à Bergman, le fidèle Jacobi (logiquement) à Gielgud et Depp à Widmark. Mais sa plus intéressante innovation concerne son adaptation du héros : ce que Poirot perd en inertie grâce au jeu athlétique de Branagh ainsi qu'à sa réalisation rythmée, le personnage si imbu de lui-même et de ses facultés de déduction le gagne en égotisme en étant précisément incarné par le cinéaste. Ses exubérantes moustaches témoignent de son orgueilleux caractère sans qu'il soit utile d'en rajouter. Autre entorse à l'image de pur esprit attachée au détective : l'évocation d'un amour passé, graine de développements futurs. Pourquoi pas, après tout : même les Poirot ont des cœurs.

Le Crime de l'Orient-Express de et avec Kenneth Branagh (E-U, 1h 54) avec également Johnny Depp, Michelle Pfeiffer, Josh Gad… 


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Kenneth Branagh : « un metteur en scène est un détective »