Jeu double au TNP

Deux spectacles éminemment différents clôturent la saison au TNP. À vous de choisir entre Un chant délicat de Norah Krief et un condensé de Feydeau assommant.


Quinze, vingt ans plus tard, reste l'éclat de son Chapeau de paille d'Italie ou d'Un fil à la patte (ah, l'éblouissant Patrick Pineau !). Loin de sa magnifique collaboration avec Carmelo Bene et Ariel Garcia Valdès, Georges Lavaudant a su suivre le rythme effréné de ces pièces tourbillonnantes et d'une précision de maître. Avec de fidèles comédiens, il a, en janvier dans cet Odéon parisien qu'il a longtemps dirigé, créé ce condensé de pièces en un acte, écrites dans la fin de vie du dramaturge, après son divorce, quand il devient plus amer que jamais sur les rapports conjugaux et qu'il envoie paître sans s'appesantir la bienséance des biens-nés.

Sur scène, Lavaudant imagine un hall d'hôtel dans lequel sa troupe enchaîne à toute allure des extraits finement entremêlés de ces cinq textes (On purge bébé, Mais n'te promène donc pas toute nue, Léonie est en avance...) entrecoupés de pseudos chorégraphies désuètes, plumeau en main. Déjà daté (sauf peut-être l'inachevé Cent millions qui tombent, sur des valets revendiquant de se syndiquer), le propos reste dans son formol, accentué même parfois par des mimiques inutiles comme ce haussement d'épaule sarkozyste lorsqu'il est question pour un des personnages de peut-être devenir président de la République. Surjoué, avec un ton constant assez criard, cet Hôtel Feydeau, en dépit d'acteurs de très haut niveau et d'un metteur en scène majeur de ces dernières décennies, apparaît au mieux comme un divertissement en roue libre, au pire comme un travail dispensable.

S'élever dans les ruines

Dans un genre totalement opposé, la comédienne Norah Krief, membre du collectif artistique de la Comédie de Valence et dirigée régulièrement par Jean-François Sivadier ou Éric Lacascade, livre un spectacle éminemment personnel. Dans Al Atlal, elle décline des parties d'un même chant d'Oum Kalthoum qui irradie encore dans toutes les familles arabes. Ces textes traduits par bloc projetés en fond de scène et fort heureusement pas sous-titrés mot-à-mot sont empreints d'une mélancolie et d'une noirceur que la justesse de la chanteuse, associée à un trio de musiciens qui prend avec tact la parole en fin de partie, rend lumineux.

Peu facile à déployer dans une salle de théâtre (on l'imagine aisément dans une SMAC), elle alterne souvenirs d'enfance dans une Tunisie quittée à deux ans mais prolongée en France par des parents qui vivaient encore comme là-bas, elle cherche à ne pas oublier cette langue et ces chants qu'elle dédie à sa mère. La chaleur de cette musique met du temps à gagner la salle qui ne fait que murmurer ces paroles-là mais, in fine, Norah Krief, à force de sincérité, finit par emballer le public et ne semble alors livrer que le prélude d'un concert qui pourrait se poursuivre longuement.

Hôtel Feydeau
Al Atlal

Au TNP jusqu'au 23 décembre 


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