Le rideau déchirant

En 2017, un album titré The Silver Veil a levé le voile sur le grand talent d'un jeune folkeux lyonnais nommé Raoul Vignal, parti marcher, au gré de chansons traversantes, sur les traces de Nick Drake et de ses héritiers en mélancolie minimaliste. Après de nombreuses premières parties, le voici en tête d'affiche au Groom.


Il n'est jamais très avisé d'évoquer la météo dans une chronique musicale. Ni jamais, d'ailleurs, tant le sujet est une preuve à charge de l'épuisement de tout autre – pour la faire courte, c'est un peu paresseux.

Mais c'est un fait : s'il ne l'a sans doute pas fait exprès, en titrant son album The Silver Veil, pour rendre hommage à ce linceul gris qui recouvre souvent Berlin, où il a passé une partie de ces dernières années et enregistré ce disque, le Lyonnais Raoul Vignal, l'une des belles révélations de 2017, l'a sans doute condamné à devenir la bande-son de cet hiver qui nous prive de lumière derrière des rideaux de pluie ou le molleton de nuages figé comme un tombeau de marbre gris que même la tempête ne parvient pas à balayer.

Pour preuve les titres des morceaux de The Silver Veil : Hazy Days, pour ouvrir ce doux bal, puis Under the same sky, Whispers, The Silver Veil, Shadows sont autant de références à un monde en demi-teinte, en clair-obscur. Mais cette bande-son, bien douce et cotonneuse, enveloppe et réchauffe dès les premiers arpèges de l'album, dès le premier contact avec cette voix qui ne nous semble pas inconnue.

Less is more

La comparaison est inévitable : Raoul Vignal, par son timbre autant que son jeu, nous plonge immédiatement dans une contrée semblable à la terre de mélancolie foulée par une grande figure du folk : Nick Drake dont chaque album brillait comme un phare dans la nuit d'infinis tourments finalement noyés dans les anti-dépresseurs – ici Vignal se rapproche surtout du très dépouillé Pink Moon, ultime album de Drake.

Dans un mouvement qui semble réaffirmer le fameux "less is more" en même temps que le « quiet is the new loud » des Norvégiens de Kings of Convenience mais aussi cette idée que ce folk-là livre des batailles en étant certain de perdre la guerre, tout ici est ténu, minimaliste, à sa place (quelques notes de piano, un peu de flûte traversière, une batterie en retrait, n'en sont pas moins sublimes d'élégance retenue). Tout ici semble suspendre le temps au dessus de nos têtes comme un ciel immuable contre lequel on ne pourrait rien.

Mais si ne foisonnent ici que des arpèges scintillants, c'est pour mieux éclairer cette idée bien connue selon laquelle les fêlures laissent entrer partout la lumière. Celles de Raoul Vignal transpercent le brouillard qu'il a tissé autour de lui, pour finalement nous parvenir et nous transpercer dans le même mouvement. Alors en cela, The Silver Veil est peut-être aussi la bande-son d'un printemps.

Raoul Vignal + Zacharie
Au Groom le vendredi 19 janvier

The Silver Veil (Talitre/Differ-ant)


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