La Douleur

de Emmanuel Finkiel (Fr, 2h06) avec Mélanie Thierry, Benoît Magimel, Benjamin Biolay…


L'ironie sordide de l'actualité fait que ce film sort sur les écrans peu après la disparition de Paul Otchakovsky-Laurens, l'éditeur ayant publié le livre dont il est l'adaptation. Un livre qui aurait pu demeurer dans une confidence obstinée : Marguerite Duras prétendait avoir oublié jusqu'à l'existence de la rédaction de cette partie de son journal intime —  la mémoire sait être sélective pour s'épargner certaines souffrances.

Son mari Robert Antelme ayant été arrêté puis déporté, Marguerite jette sur des cahiers le cri muet de son attente quotidienne ; cette douleur sourde avivée par l'incertitude et la peur pour l'autre, pour le réseau, pour soi. Dans la moiteur d'une Occupation expirante, un flic collabo profite de l'absence de nouvelles (bonnes ou mauvaises) pour engager avec elle un jeu pervers de séduction… Mais qui instrumentalise qui ?

Mémoire effacée et ravivée, souvenir de la Shoah… On comprend que le réalisateur Emmanuel Finkiel ait été touché par le thème et la démarche de Duras. Pour cette adaptation naturellement sèche, il convoque la grande Histoire dans ses compartiments les plus intimes, faisant abstraction de la fresque tragique ou héroïque. Et son temps d'énonciation est un présent de durée, dans toute sa pesanteur ; un temps qui entame. Un temps durassien. Il faut saluer Mélanie Thierry, étonnante incarnation de la romancière, retrouvant dans la voix-off de la récitante, le phrasé aux scansions si particulières qu'Emmanuelle Riva avait restituées dans Hiroshima mon amour.


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