Margot, pleine lignes

Elle « avance vers nous depuis sa nuit » et Laurent Brethome lui rend la lumière. Margot, adapté de Marlowe, est la pièce avec laquelle le metteur en scène synthétise tout ce qu'il a approché jusque-là : un goût assumé du spectacle au profit d'un texte coriace.


On pourrait lui en faire le reproche mais, à bien réfléchir, il n'y a rien là d'incohérent. Dans le Margot de Laurent Brethome, il y a un peu de l'air du temps théâtral : une pincée de Thomas Jolly (pour une esthétique noire-rouge-blanche et les breloques pas forcément nécessaires en accompagnement de costumes très justes : contemporains et a-temporels), du Julien Gosselin (personnages déclamatoires micro en main – en très courtes séquences il faut le reconnaître), parfois même du Joël Pommerat (ah, la séduisante scène de fiesta post couronnement d'Henri III qui rappelle les images de Ma Chambre froide ! ). Mais il y a, in fine, entièrement Laurent Brethome.

En mettant en scène, dans une version délicatement décalée de Dorothée Zumstein, Le Massacre à Paris de Christopher Marlowe qui avait ouvert le TNP villeurbannais en 1972 sous la direction de Chéreau et dans les décors du grand Peduzzi, le Vendéen n'est jamais poseur et d'une fidélité épatante à ce qu'il fut : les corps enduits de secrétions (Les Souffrances de Job), un décor mobile, presque un jeu de légo (Scapin), le sol gorgé d'eau ou de sang (Bérénice)...

Coup droit gagnant

Sans le politiser (il laisse ça à d'autres), Brethome fait de cet épisode sanglant de la rivalité entre protestants et catholiques une rixe violente entre gangs dans laquelle « la religion s'adapte aux intérêts ». Ce pourrait être le Marseille des quartiers Nord en 2017. C'est Paris 1572, qui ressemble, en cette Nuit de la Saint-Barthélémy,  à un terrain de sport complètement ravagé. Sans s'encombrer de décors réalistes, il trace, par la lumière notamment, des rings dans lesquels se démènent les troupes adverses de façon bi-frontale (dans la première heure) puis frontale. Ca bastonne sur fond d'électro (merci à JB Cognet d'avoir crée un son indéniable moderne du son, pas si commun au théâtre, plutôt que d'avoir bootlegué le, certes génial mais si entendu sur les scènes, Bowie).

L'univers des comics n'est pas loin. Impeccables Fabien Albanese et Julien Kosselek interprètent Henri III et un duc de Guise (véritable athlète, sans cesse en attente de retour de service ou à l'assaut)  qui ne feignent pas la moquerie. Laurent Brethome avait déjà livré une variation sur ce Massacre, il y a quatre ans, avec les élèves du Conservatoire, à l'Élysée. Il avait fait d'un amoncellement de chaussures le symbole de ce déferlement de terreur. Même méthode ici, poussée plus loin avec une véritable cathédrale de godillots. Impeccable. Dans ce travail très masculin voire testostéroné, il replace au centre la femme impériale qui donne son titre à cette relecture, Margot, à qui Savannah Rol prête son talent infaillible. Et chacun de trouver sa place, presque sa case, dans cette création construite, avec rigueur, comme une BD. Où la puissance narrative et spectaculaire du théâtre est une nouvelle fois démontrée.

Margot
Aux Célestins jusqu'au 24 janvier


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