Homo Politicus

Innovant sur le plan musical comme textuel, le popeux psychédélique Orval Carlos Sibelius, dernier héraut de l'écurie Born Bad, a sorti les crocs en 2017 avec Ordre et Progrès, terrible état des lieux politico-psychédélique de notre époque, aux étranges et paradoxales vertus revigorantes. A découvrir au Bal des Fringants.


Répondant à cette vieille énigme s'interrogeant sur la question de savoir si oui ou non, sur une île déserte, les noix de coco font du bruit en tombant, Orval Carlos Sibelius affirme que sa musique serait la même si personne n'était là pour l'écouter.

Or c'est probablement avec ce genre de devise érigée en pavois qu'on va le plus loin, que l'on peut aussi emprunter à l'envie chemins de traverse et autres trous de ver artistiques, en étant assuré qu'on sera suivi par ceux qui le méritent.

Ce que ne se prive pas de faire ici le démiurge au nom d'empereur (d'opérette) du Saint-Empire romain germanique, quand il s'agit sur son Ordre et Progrès : de démultiplier les genres ; de lâcher les guitares (entre math et krautrock) et les machines comme une meute de chiens dans une pop psychédélique parfois rehaussée de cuivres de chasse à cour ; d'assumer de chanter pour la première fois en français, conférant à l'ensemble une patine french pop 70's.

Mais aussi, chose étonnante de la part de Sibelius l'évaporé, de livrer un disque qui a pour titre la devise du Brésil, résolument politique – la chose a d'ailleurs paru, et pas par hasard, dans l'entre-deux tours de la surréaliste présidentielle de l'an dernier.

Coupure générale

Loin des voyages abstraits et astraux des précédents albums, Sibelius se délecte ici à jouer avec les mots des maux d'une époque – la nôtre – rendue à la vanité et à l'absurde jusqu'à en devenir tragiquement poétique.

Sur Les Oubliés : « Le bonheur se répand comme un cancer dans le cerveau des gens » et il n'y a décidément rien à sauver, entre Coupure générale et chronique d'un suicide en devenir (Coeur de verre).

Confirmation définitive en sortie d'album avec Désastres et Compagnie, annonçant à l'heure de son écriture, la catastrophe à venir (ou sa menace), qu'on devinerait atomique : « Agiter la menace de l'Apocalypse est utile / Pour inciter les masses à danser comme des poules » avant cette conclusion résumant parfaitement cette idée d'un Ordre marmoréen et d'un Progrès gélatiné – en même temps que l'année politique passée dans un pays où la « rébellion nouvelle est modérée » : « Et comme un seul homme nous marcherons vers la victoire totale du surplace ».

Dans cet élan sclérosé, celle d'Orval Carlos Sibelius est pourtant celle du mouvement perpétuel et de la révolution permanente. Dommage que les vrais révolutionnaires, ceux qui sont prêts à risquer de marcher seuls pour leurs idées, ne se présentent pas aux élections.

Orval Carlos Sibelius + Bess of Bedlam
Au Bal des Fringants le jeudi 1er février


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