Les Garçons sauvages

Arty, élégant, un peu agaçant, mais d'un splendide noir et blanc, ce premier long-métrage a tout du manifeste mandicien d'un cinéma exacerbant les sens et la pellicule, osant pour ce faire être, parfois, sans tête ni queue. Judicieusement interprété par l'irremplaçable Vimala Pons et d'autres garçon·nes de son acabit.


De temps en temps, cela ferait plaisir que le public ose se faire une douce violence en se rendant en salle non pour voir un film, mais du cinéma. Ne serait-ce que pour renouer avec l'expérience originelle face à l'écran : l'attente obscure, un peu magique et nimbée d'incertitude ; et puis la liturgie de la projection qui laisse à son issue avec la sensation physique d'avoir, à l'instar d'Alice, traversé un miroir. Sans doute y a-t-il plus de confort à préférer la prévisibilité d'un spectacle  consensuel ou d'une linéarité narrative. Mais n'est-il pas dommage de se renoncer aux œuvres hors gabarit, et d'en abandonner la jouissance exclusive à quelque ghetto ? Les Garçons sauvages se mérite peut-être un peu, mais tout le monde mérite d'entrer dans son royaume brut.

Au départ ils sont cinq jeunes gars, fissapapas la sève aux veines, s'entraînant dans la canaillerie perverse jusqu'au crime barbare. Confiés en pénitence à un rude capitaine, ils embarquent pour une île insolite habitée par un·e scientifique travaillant sur les changements de sexe…

L'île de la tentation d'une “elle”

Reprenant l'imaginaire de Jules Verne (et son scientisme halluciné), le merveilleux poétique de Cocteau ainsi que la crudité sexuelle à peine voilée de Fassbinder et Genet, ce conte moderne narré à la manière d'une histoire pour enfants pas forcément sages, joue de toutes les ficelles plastiques de l'artisanat cinématographique, et revendique sa facture manuelle jusque dans ses traces perceptibles à l'œil ou l'oreille. Comme si le bricolage, le triturage de l'objet-film visant à en faire un hybride entre théâtre, installation contemporaine et pelloche d'autrefois, voulait répondre aux métamorphoses organiques s'opérant sur l'écran. Puisque des garçons du titre, il ne reste bientôt plus qu'un souvenir, leur masculinité se détachant comme un fruit trop mûr.

Il y a chez Mandico de l'impudence léchée — pourléchée, même — et la conscience baudelerainienne de transgresser la norme. Un poil de pose aussi, mais une voracité telle chez ce démiurge vintage à créer de la matière qu'on ne peut qu'être envouté. Succubez donc à la tentation !

Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico (Fr. int.-12 ans avec avert. 1h50) avec Pauline Lorillard, Vimala Pons, Diane Rouxel…


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