« Pointer nos contradictions et nos faiblesses »

Avec Prince of Tears, son dernier disque, vrai-faux album de rupture, et véritable œuvre existentielle, Baxter Dury a sans doute livré son album le plus abouti. Entre grandeur et décadence, mystère et transparence, le Londonien, également prince du cool, continue de passer les failles du mâle contemporain au révélateur de cette autodérision qui est sa marque de fabrique.


Le sujet de Prince of Tears est celui d'une rupture amoureuse que vous avez vécu. Or vous avez beaucoup dit ne pas vouloir en faire un album trop personnel et encore moins un concept album. Avez-vous besoin de mettre à distance toute tentation de vous laisser aller au sentimentalisme ?
Baxter Dury :
Non, ce n'est pas vraiment ça... C'est surtout que cette rupture est un prétexte pour aborder plein d'autres sujets comme celui de l'enfance [comme sur la chanson qui évoque un épisode de cour de récré où Baxter se fait casser la figure par un camarade, NDLR], ce genre de choses. En fait, j'ai surtout essayé de faire des chansons brillantes, de m'appliquer à leur donner une couleur, d'en travailler les détails pour faire naître et grandir un certain mystère.

La tonalité de Prince of Tears est quand même nettement plus mélancolique que celle de votre précédent disque, It's a pleasure...
C'est vrai que ces deux albums sont très différents mais je ne crois pas que Prince of Tears soit moins joyeux qu'It's a pleasure. Il est simplement plus honnête, il parle de la vraie vie sous forme de petits instantanés fictionnels. It's a pleasure était un peu plus abstrait dans son approche, notamment musicalement.

Dans vos chansons, vos personnages sont toujours au croisement du grandiose et du pathétique. Vous-mêmes arrivez parfois sur scène en robe d'intérieur pour homme avant de dévoiler un costume blanc de dandy. L'autodérision est-elle le révélateur de vos chansons ?
Sans doute oui. Parce que ce que j'aime c'est explorer les contradictions entre notre côté obscur et ce que nous avons de fantastique. Pointer les faiblesses que l'on peut avoir, je crois que c'est ce que j'essaie de faire. Je travaille là-dessus : les contradictions.

Est-ce aussi une manière un peu outrée d'entretenir votre côté anglais sachant qu'en France, par exemple, vous êtes sans doute perçu comme le plus anglais des chanteurs pop ?
Oui, parce que le second degré et l'autodérision sont des choses très britanniques. Ce sont même probablement les domaines dans lesquels les Anglais sont les meilleurs. Et je suis définitivement un chanteur anglais ! Alors je crois que oui, c'est quelque chose que je cultive absolument. Et en même temps ça m'est très naturel.

Vous dites souvent que vous passez beaucoup de temps à regarder le monde autour de vous. Comment en rendez-vous compte, comment écrivez-vous ?
Je n'en sais rien à vrai dire. Ce n'est pas quelque chose dont j'ai vraiment conscience. Des mots me viennent, les choses apparaissent dans ma tête. En fait, je me lance, sans vraiment y penser. Ça vient comme ça. L'important c'est surtout la manière d'être attentif à ce qui arrive, le regard que vous portez là-dessus. Ça conditionne beaucoup le processus de composition.

Vous dites que faire un album c'est comme fabriquer « un mur avec des rognures d'ongles »... Qu'est-ce que ça signifie ?
Cela évoque la difficulté de construire quelque chose à partir d'éléments qui semblent impossibles à assembler. On a beau avoir une idée précise de ce que l'on veut faire, c'est toujours un peu l'impression que l'on a lorsque l'on s'y met : essayer de tirer quelque chose de l'impossible. Je pense que plus une chose est difficile à réaliser, meilleure elle est.

Sur la pochette de Prince of Tears, on vous voit gravir une dune, puis au dos de la pochette en dégringoler... Cela rappelle un peu Sisyphe sur sa montagne. C'est une manière de rappeler que le métier d'artiste a quelque chose de sisyphéen, à devoir toujours remettre l'ouvrage sur le métier ?
(Surpris de la comparaison, il réfléchit) Oui, c'est vrai, il y a quelque chose comme ça. On doit sans cesse recommencer... Mais honnêtement ce n'est pas pour ça qu'on a choisi cette pochette. On l'a choisi parce qu'on aimait bien cette image : un mec cool dans le désert...

Baxter Dury
À L'Épicerie Moderne le jeudi 1er mars


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