Retour au pays natal

Avec Faire mouche, Vincent Almendros joue les maîtres du suspens dans un étrange thriller rural mêlant affaires familiales non classées et roman noir qui, jusqu'au bout, souhaiterait s'ignorer. Un livre d'une progression narrative sublime de doigté dont le titre dit bien la manière dont il nous cueille.


Ci-gît Saint-Fourneau, village perdu que l'exode rural – on l'imagine – a laissé pourrir sur pieds, rendu à une nature ingrate, ou les deux, ainsi que le décrit le narrateur : « la nature semblait avoir poussé n'importe où, spontanée et enthousiaste. Partout, c'était le vert qui dominait, un vert vif et mouillé. (...) Les serrures des portes, les ferrures, les pentures, tout était rouillé. Même les escaliers se lézardaient. Une branche trop lourde s'affaissait sur la tôle ondulée d'un abri laissé à l'abandon ».

C'est donc dans ce décor que le narrateur de Faire Mouche, Laurent Malèvre, revient après d'interminables lustres – une vingtaine d'années – pour revoir les siens, si l'on peut les nommer ainsi : son oncle Roland, condamné par un cancer, sa cousine dont c'est le mariage, et sa mère qui, depuis la mort de son mari, vit avec Roland et une drôle de réputation d'empoisonneuse – n'a-t-elle pas fait boire à son fils de l'eau de javel, lorsqu'il était enfant ? Avec lui, Laurent a emmené Claire, une amie qu'il présente comme sa compagne Constance dont il est lui-même sans nouvelle. Sans qu'on sache pourquoi.

Effluves maudites

À vrai dire, on ne sait pas davantage, même quand on croit savoir, pourquoi Laurent a tant de mal à revenir dans ce village, cette atmosphère, ce cercle familial déglingué où pullulent les mouches, où tout a un drôle de goût, y compris la langue de bœuf et le vin de noix préparés par la mère, également fine éplucheuse de lapin.

C'est que Vincent Almendros, aux commandes de ce roman, distille les indices avec parcimonie ; prend son temps, puisqu'à Saint-Fourneau, il est élastique (« je me souvenais qu'à la campagne les matinées passaient vite, mais les après-midi étaient plus lents. Le temps pouvait s'arrêter, ça ne me dérangeait pas ») ; joue avec les nerfs du lecteur au point de parvenir à transformer une cueillette de champignons en thriller ; livre les dialogues à l'économie, comme on le fait dans les familles de peu de mots, où l'on se repaît de non-dits et de secrets à peine voilés.

L'ensemble est tout à fait vénéneux et totalement délicieux tant on se demande, tout au long de ces 127 pages haletantes, où l'auteur veut en venir en funambulant de la sorte. Car pour connaître le fin mot de l'histoire, dévoilé dans l'ultime paragraphe, il faudra soi-même s'immerger dans ce hameau aux effluves maudites et parsemé de cadavres de toutes sortes ; être prêt à y déterrer les secrets qui y sont enfouis ; et accepter ce dont Saint-Fourneau pourrait bien, pour le narrateur, être le nom.

Vincent Almendros,  Faire mouche (Minuit)
À la librairie Passages le mercredi 28 mars à 19h


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