Les yeux grands fermés

Trio québécois naviguant entre avant-garde et regard en arrière 80's, Paupière séduit avec une synth-pop sensuelle, superficielle en apparence mais uniquement par profondeur, pour ne pas dire par gravité. Dansant mais dense. Un groupe de plus à accrocher au tableau d'honneur de la Belle Province.


« Au travers de mes paupières, je perçois l'univers d'une autre manière » chante Paupière sur le premier titre de son premier album magnifiquement titré À jamais privé de réponses. Or c'est à peu près l'impression que nous fait régulièrement la scène québécoise, qu'elle soit rock, pop ou variété, ou un peu tout cela à la fois comme on l'a vu en ces pages il y a un peu avec l'ami Pierre Lapointe, sacré modèle d'original portant sur le monde un regard singulier énoncé dans une langue qui ne l'est pas moins.

Oh, loin de nous l'idée de sous-entendre que l'herbe est plus verte ailleurs – encore qu'au Québec... – mais c'est bien Lapointe lui-même qui lors de l'entretien qu'il nous avait accordé théorisait sur l'absence de froid aux yeux chronique des Québécois quant aux rapports avant-garde/populaire :

« Chez nous, on n'a pas le poids du passé, on est encore en train d'écrire notre Histoire, il n'y a pas de hiérarchie sociale ou intellectuelle comme chez vous, c'est très libre. » Lui aussi qui défendait le fait de chanter en français, poussant la jeunesse à expérimenter sur la langue – ce que les artistes québécois font particulièrement bien.

Crudité

Or, s'il y en a chez qui tout cela ne semble pas être tombé dans l'oreille d'un sourd ou dans l'œil d'un aveugle, et qui fait un bel usage du verbe, c'est bien cet excellent trio (un garçon, deux filles, en partie issus, comme Lapointe, des arts visuels ou de la comédie) de pop synthétique qu'est Paupière qui chante le peintre Kirchner sur des airs à la Niagara, combinant la raideur de la new-wave, la légèreté de l'électro-pop et la sensualité des harmonies vocales (les trois membres du groupe chantent), ce goût pour le sucré-salé venu des années 80 et l'amertume propre à notre époque.

Car il n'y aurait que les candides pour prendre ces petits hymnes pop, ces petits hymnes de poches pour du sucre candeur. Si mièvrerie il y a, elle est de façade et cache un goût certain pour le cynisme, lui aussi bien de son époque désespérée et convoquant la crudité des mots (le terrible Brûler bruyamment), comme politesse d'un romantisme affleurant mais contrarié.

Mêlant les sentiments comme ils mélangent les ingrédients de leurs influences (on reconnaît aussi, entre autres, Human League ou Depeche Mode période Speak and Spell), les éléments aussi, la "peau" et la "pierre", réunis en un collage lacanien, Paupière propose, entre avant-garde et danse, chanson et poésie, un paysage flou et déroutant, comme celui que l'on verrait à travers une paupière fermée exposée en pleine lumière.

Paupière + Pendentif
Au Sirius le mercredi 7 mars


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